À l’Assemblée, Sébastien Lecornu gagne du temps grâce aux socialistes

Dans un discours de politique générale express, le premier ministre renonce au 49.3 et suspend la réforme des retraites. Rien de plus. Mais suffisant pour que les socialistes ne le censurent pas immédiatement.

Lucas Sarafian  • 14 octobre 2025 abonné·es
À l’Assemblée, Sébastien Lecornu gagne du temps grâce aux socialistes
Sébastien Lecornu lors de son discours politique général face au groupe socialiste, le 14 octobre 2025.
© Thomas SAMSON / AFP

Sébastien Lecornu est un homme qui connaît la sensation du vertige. En nommant son gouvernement, il y a une semaine, il est tombé de haut. Sous pression de la droite et de son propre camp, le premier ministre a démissionné 13 petites heures après avoir composé son équipe. Quelques jours plus tard, il est renommé au même poste, chargé une nouvelle fois de trouver des compromis, de durer dans le temps, de sortir le pays de la crise politique alors que sa reconduction en est l’une des causes.

Gravir les quelques marches pour arriver à la tribune de l’Assemblée nationale peut donc être un chemin très long. Sébastien Lecornu sait que cette route est dangereuse, il sait qu’il peut ressentir à nouveau cette sensation, l’étourdissement par le vide. L’ombre d’une nouvelle chute est là. Et elle est toute proche.

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Dans le chaudron parlementaire, Sébastien Lecornu n’a aucun espace. Il étouffe. À sa gauche, les socialistes rêvent d’une grande annonce de justice fiscale, la confirmation de l’abandon du 49.3 et une suspension complète et immédiate de la réforme des retraites de 2023. À l’extrême droite, il y a un mur.

Face aux vents du dégagisme, Sébastien Lecornu s’accroche éperdument à cette Ve République.

« Nous censurerons maintenant l’intégralité des gouvernements qui seraient présentés par Emmanuel Macron », a prévenu ce matin Marine Le Pen à la sortie d’une réunion entre les députés du Rassemblement national (RN) et les ciottistes de l’Union des droites pour la République (UDR). Deux motions de censure sont déjà déposées par les insoumis et les marinistes. Arithmétiquement, Sébastien Lecornu sait donc qu’il ne tient qu’à un fil. Sa majorité parlementaire est fragile. Il ne faudrait qu’une vingtaine de députés, de droite, au sein des rangs socialistes ou du groupe Liot pour qu’il chute brutalement.

Mission

À quelques centimètres des deux micros posés sur le pupitre de l’Assemblée, le premier ministre est seul. Ce sont ses propres mots qui décideront de son avenir. Révolues sont les promesses de « ruptures ». L’heure est aux actes. À la tribune, Sébastien Lecornu évite les envolées lyriques. Le premier ministre « le plus faible de la Ve République », de son propre aveu, ne doit pas prendre de risque. Son ton est plat, presque militaire. Il ne prend pas le temps de poser ses mots.

Car ce « moine-soldat », dixit, de la Macronie empêtré dans une crise économique, sociale, démocratique et environnementale a une mission : « J’ai accepté la mission que m’a confiée le président de la République, parce que la France doit avoir un budget, parce qu’il y a des mesures d’urgence à prendre, sans attendre. »

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Face aux vents du dégagisme, Sébastien Lecornu s’accroche éperdument à cette Ve République et à son fondateur Michel Debré. « Certains aimeraient voir cette crise parlementaire virer à la crise de régime », regrette-t-il. Mais avec lui, il le promet, la crise n’aura pas lieu. Grâce à une toute nouvelle méthode de gouvernance : le refus d’utiliser le 49.3. « Cela paraît de bon sens, c’est pourtant presque une révolution. A vous de saisir ce pouvoir qui est une chance, lance-t-il, bravache. J’avais promis une rupture, cela en est une. »

Si le premier ministre suspend cette réforme, il lance une conférence sociale qui devra se prononcer sur le sujet avant 2027.

Sébastien Lecornu rend le pouvoir au Parlement. Le geste est fort : l’un de ceux qui ont tant brutalisé le Parlement tend la main à l’Assemblée et au Sénat. « Ce que je vous propose, c’est de trouver un chemin commun malgré les divergences. Le gouvernement vous proposera, nous débattrons, vous voterez. »

Très rapidement, Sébastien Lecornu évoque néanmoins quelques pistes dans la copie budgétaire du gouvernement : une réforme de l’État, la lutte contre les fraudes sociale et fiscale, des baisses d’impôts pour les petites et moyennes entreprises, des hausses d’impôts « ciblées et exceptionnelles » pour « certaines grandes entreprises »… Enfin, il annonce instaurer une taxe sur les holdings patrimoniales sans affecter les biens professionnels, une proposition déjà évoquée devant la gauche lors de ses consultations à Matignon la semaine dernière. Rien de plus.

Le premier ministre omet des points importants qui figurent dans son projet présenté en conseil des ministres hier, comme la suppression de 3 119 postes de fonctionnaires en 2026, le gel des pensions de retraites et des prestations sociales ou la réduction du déficit de la Sécurité sociale.

Suspension

Au bout de quelques minutes, Lecornu en vient au cœur du sujet : les retraites. Il le confesse : « Je ressens ce que la dernière réforme a provoqué : des tensions, des inquiétudes, de la lassitude, parfois un sentiment d’injustice ou d’incompréhension. » Le moment est arrivé : le premier ministre annonce officiellement la suspension de la réforme Borne de 2023 jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Les socialistes applaudissent sans réfléchir.

Mais il y a un hic. Si le premier ministre suspend cette réforme, il lance dès maintenant une conférence sociale qui devra se prononcer sur le sujet avant 2027. « Si la conférence conclut, le gouvernement transposera l’accord dans la loi. Sinon, il appartiendra aux candidats à l’élection présidentielle de faire leurs propositions. » Vient-il de relancer le cirque du conclave sur les retraites qu’avait mis en place François Bayrou ?

Après 20 minutes seulement, Sébastien Lecornu arrive à la conclusion de son discours d’une vingtaine de pages. Pas le temps de digresser. « Je ne vous ai pas présenté un programme à long terme, concède-t-il. L’urgence est de redonner son sens à la politique, de redonner confiance en la politique, de respecter les engagements de chacun. »

Les socialistes revendiquent avoir arraché des victoires à cette Macronie qui ne cède sur rien.

« Un pari risqué »

Les socialistes ne veulent pas philosopher sur cette ode au compromis et s’échappent de l’Hémicycle. Réunion urgente. Le parti au poing et à la rose doit trancher : veulent-ils faire tomber ou sauver Sébastien Lecornu ? « Nous avons posé trois conditions, le premier ministre y a répondu », glisse un proche d’Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste (PS).

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« Je ne suis toujours pas convaincu parce que les macronistes méritent d’être renversés. Mais maintenant, ce sont les réactions et les événements qui diront si c’était une superbe victoire ou un pis-aller », réfléchit Jonathan Kienzlen, membre de la direction du parti. En interne, les députés du groupe penchent majoritairement vers une non-censure. Les socialistes revendiquent avoir arraché des victoires à cette Macronie qui ne cède sur rien.

À la tribune, Boris Vallaud, le patron des députés socialistes, doit faire le SAV de cette décision : « Nous faisons un pari, un pari risqué dont seul l’avenir nous dira ce qu’il est. » Grâce à l’abstention des socialistes lors de l’examen des motions de censure jeudi matin, Sébastien Lecornu devrait se sauver.

À moins que certains députés roses favorables à la censure arrivent à convaincre quelques uns de leurs collègues. En janvier, malgré le deal signé entre le PS et François Bayrou, huit députés n’avaient pas respecté la discipline de groupe : Paul Christophle, Pierrick Courbon, Alain David, Peio Dufau, Fatiha Keloua Hachi, Philippe Naillet, Inaki Echaniz et Claudia Rouaux. Depuis quelques jours, certains de cette bande veulent croire qu’ils arriveront à faire tomber le gouvernement en entraînant leurs collègues du groupe. « On discute, on continue d’échanger », confie l’un d’eux. Mais le suspens est désormais ténu.

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