Ces personnalités de gauche qui obsèdent l’extrême droite
Rokhaya Diallo, Rima Hassan, Sandrine Rousseau, Adèle Haenel, Judith Godrèche et Éric Fassin : des noms systématiquement visés par le camp réactionnaire à la moindre prise de position ou de parole. Portraits.
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Elle n’a peur de rien. Devant le conseil des droits de l’homme des Nations unies en octobre 2024, Rokhaya Diallo dénonce la diabolisation des antiracistes et des mouvements pro-Palestine ainsi que la montée de l’extrême droite. Elle sait que son discours sera la cible des militants radicaux nationalistes. Comme à chaque fois qu’elle prend la parole. Elle le sait, mais elle tient la ligne. Depuis des années, l’essayiste et réalisatrice antiraciste est accusée de tous les maux. « Communautariste », « antirépublicaine », « égérie de la polarisation identitaire »… Les attaques sont nombreuses.
Car le système médiatique mainstream et les forces politiques réactionnaires détestent que Rokhaya Diallo parle de racisme systémique ou de violences policières. La journaliste dit ce qui gêne. Elle est harcelée sur les réseaux sociaux comme dans les tribunaux. Un harcèlement dont s’est d’ailleurs saisi le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs des droits humains. « Ce harcèlement est pensé pour nous placer dans un état d’alerte permanent. À certains moments d’actualité, comme les attentats, mon nom remonte dans des forums d’extrême droite », confiait-elle à Politis en juillet. Mais Rokhaya Diallo ne craint pas de mener la bataille des idées sur BFMTV ou, il y a longtemps, face à Cyril Hanouna, dans « Touche pas à mon poste » (TPMP). Et elle ne semble pas vouloir arrêter le combat.
L.S.
Judith Godrèche et Adèle Haenel : deux féministes qui dérangent
L’une a initié une rupture avec le monde du cinéma, l’autre l’a subie. Adèle Haenel et Judith Godrèche ont dénoncé l’omerta autour des violences commises sur les enfants, et depuis… écran noir. Après leurs prises de parole, les deux actrices sont tombées en disgrâce là où, auparavant, on leur dépliait le tapis rouge, qualifiées « d’hystériques », de « bobos » ou encore de figures d’un « néoféminisme épurateur » dans la presse de droite. « Le match Adèle Haenel vs. Judith Godrèche, qui est la plus radicale ? », titre Marianne. À chaque prise de position politique – contre les violences sexuelles, en soutien aux mouvements sociaux ou contre le génocide à Gaza –, c’est l’imaginaire de la féminazie qui est brandi pour décrédibiliser leur parole.
Une rhétorique qui sert aussi d’axe de défense aux accusés, notamment pour Christophe Ruggia lors du procès à l’issue duquel il a été condamné à deux ans de prison ferme pour agressions sexuelles sur Adèle Haenel. Durant l’audience de délibéré, les bancs du public étaient davantage remplis par les militantes féministes que par les personnalités du monde de la culture. Judith Godrèche, elle, était là. Cyberharcèlement, ostracisme, difficultés à financer des projets… Dans l’industrie du cinéma, l’engagement féministe coûte manifestement plus qu’il ne rapporte.
S.D.
Éric Fassin, l’intellectuel ostracisé
Sociologue reconnu, longtemps invité régulier des plateaux télé et des tribunes de presse, Éric Fassin s’est imposé comme une figure centrale des études de genre et des réflexions sur la politisation du sexe, du racisme et des migrations. Professeur à Paris-8, il appartient à cette génération d’intellectuels de gauche qui ont voulu faire entrer dans le débat public les outils critiques venus du monde anglo-saxon : féminisme, queer theory, intersectionnalité. Mais, à mesure que ces concepts ont été disqualifiés dans l’espace médiatique français, Fassin est devenu une cible. Hier encore présenté comme un chercheur engagé, il est aujourd’hui souvent caricaturé en militant idéologue.
Ses prises de position contre le racisme d’État, la hiérarchie des vies ou l’obsession de l’« identité nationale » lui valent d’être traité d’« islamogauchiste » ou de représentant d’une « gauche déconstructrice ». Ce qui, dans les années 2000, relevait d’un débat intellectuel est désormais perçu comme une menace pour l’« arc républicain ». Résultat : là où son analyse éclairait les controverses, elle sert désormais de repoussoir dans un paysage saturé de polémiques sur le genre, la « cancel culture » ou l’« écoterrorisme ». Éric Fassin paie le prix d’une parole qui refuse la neutralité. Dans un monde médiatique obsédé par la fausse symétrie, il incarne cette gauche savante devenue infréquentable : non pas parce qu’elle aurait changé de discours, mais parce que les médias ont déplacé le centre de gravité de ce qu’ils jugent encore audible.
H.B.
Rima Hassan, l’humanitaire indésirable
Durant la campagne des européennes, elle a subi pendant des semaines les attaques des médias Bolloré et de la galaxie réactionnaire. Figure « incendiaire de la gauche communautaire » pour Europe 1, reine de « la polémique permanente » pour Le Journal du dimanche, « Lady Gaza » pour l’éditorialiste de France Inter Sophia Aram. Depuis plus d’un an, Rima Hassan est une cible. Caricaturé quasi quotidiennement, le visage de la cause palestinienne en France, juriste en droit international, est honni par l’extrême droite. Accusée d’antisémitisme ou de faire l’apologie du terrorisme à chacune de ses prises de parole, à chacun de ses tweets, l’eurodéputée insoumise plaide pourtant pour la solution binationale, critique le droit international, dénonce la colonisation illégale d’Israël en Palestine.
Mais le champ réactionnaire et nationaliste ne l’entend pas de cette façon. Deux ministres du gouvernement de François Bayrou, François-Noël Buffet et Patrick Mignola, ont même évoqué l’hypothèse d’une déchéance de nationalité en mars 2025 pour celle qui a travaillé à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Une idée notamment partagée par Marion Maréchal, nièce de Marine Le Pen. De la droite à l’extrême droite, tout le monde est uni pour faire de Rima Hassan une ennemie de la République.
L.S.
Sandrine Rousseau, l’écologiste proscrite
Harcelée au quotidien. Sandrine Rousseau représente tout ce que l’extrême droite hait. Symbole du « wokisme », de la « déconstruction » des normes sociales, ennemie du masculinisme, la députée écologiste de Paris est une bête noire. La droite radicale et nationale l’attaque à chacune de ses interventions. Interrogée par Le Média en juillet sur la loi Duplomb, l’écolo a dit n’avoir « rien à péter » de la « rentabilité » des agriculteurs. Des propos tronqués. Une polémique malhonnête dont s’est allégrement emparée l’extrême droite.
Alors qu’elle cherche à acquérir une résidence dans le Finistère, des dizaines d’agriculteurs de la Coordination rurale ont organisé devant cette maison, au début du mois d’août, un barbecue « parce qu’on aime : le charbon, le feu de bois, le bœuf bien saignant et la liberté de se retrouver entre carnivores affamés », selon un visuel diffusé sur les réseaux sociaux. Rien à faire : elle est ce qu’ils détestent le plus.
L.S.
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