Diabolisation : de quoi la gauche est-elle accusée ?

Antisémitisme, écoterrorisme, tropisme prorusse… LFI et EELV, qui payent un lourd tribut dans la guerre à la désinformation menée par la droite et l’extrême droite, tentent de s’organiser.

Nils Wilcke  • 29 octobre 2025 abonné·es
Diabolisation : de quoi la gauche est-elle accusée ?
© Henrique Campos / Hans Lucas via AFP

« Pour moi, Jean-Luc Mélenchon s’est mis en dehors de l’arc républicain. » Ces mots de Gérard Larcher, le président du Sénat et troisième personnage de l’État, en décembre 2023 ont provoqué la fureur des insoumis mais guère au-delà, y compris au Parti socialiste (PS), qui tente alors de se désengager de l’influence de ses remuants alliés. Comme si ces deux gauches n’étaient plus capables de se parler. Cet été, Olivier Faure assurait sur BFMTV qu’il n’avait « plus de contacts » avec Jean-Luc Mélenchon « depuis plus de deux ans ».

Le refus du PS de voter la motion de censure du second gouvernement de Sébastien Lecornu a consommé la rupture entre les deux chefs de parti. Pire, le 14 octobre dernier, Jean-Luc Mélenchon a contemplé, abasourdi, de la salle de son groupe à l’Assemblée nationale, son homologue socialiste et une partie de ses troupes applaudir le premier ministre macroniste annonçant à la tribune la « suspension » de la réforme des retraites. « Il l’a ressenti comme une profonde trahison, confie un proche du patron de La France insoumise (LFI). C’est un sentimental, Jean-Luc, vous comprenez. » Désormais, entre les deux partis de gauche, la fête est finie : « C’est la guerre », résume notre source.

Pourtant, la gauche n’a jamais eu autant besoin d’union, menacée par l’alliance imminente de la droite avec l’extrême droite, et à la traîne face au Rassemblement national (RN) dans les sondages, en cas de nouvelle dissolution. Comment expliquer qu’une partie du champ républicain ne veuille plus être associée à une certaine gauche ? La formation de Jean-Luc Mélenchon concentre l’essentiel des critiques du spectre politique à droite et à l’extrême droite.

Les péchés capitaux supposés de LFI ? Son insensibilité envers les Juifs de France et les Israéliens après les attaques terroristes du 7 octobre 2023, voire son antisémitisme, mais aussi son antiféminisme après l’affaire Quatennens, qui a éclaboussé le parti jusqu’à Jean-Luc Mélenchon lui-même, à cause de son soutien à son ancien poulain ; les accusations de communautarisme dans les quartiers, et, bien sûr, le tropisme prorusse et chinois d’une partie des insoumis.

« Du sexisme, il y en a dans tous les bords politiques », balaye le député LFI Maxime Laisney auprès de Politis. Tout en tentant de faire son autocritique après le non-lieu obtenu par Julien Bayou, l’ancien président du groupe écolo à ­l’Assemblée, le parti de Marine Tondelier voit dans ces attaques « une instrumentalisation des sujets féministes », explique Raphaëlle Rémy-Leleu, cadre verte et élue conseillère à la Ville de Paris, dénonçant notamment la présence du collectif fasciste Némésis dans les manifestations ­féministes à Paris.

Les insoumis font bloc autour de Mélenchon

Comme LFI, les Écolos sont eux aussi victimes d’attaques outrancières. Leurs actions militantes sont assimilées par l’exécutif à de l’« écoterrorisme », un syllogisme repris par l’actuel ministre de la Justice, Gérald Darmanin, à l’époque à l’Intérieur, lors des manifestations interdites contre l’installation de mégabassines à Sainte-Soline, en 2022.

Comment répondre à ces accusations qui visent à discréditer un adversaire politique ? « Il faut montrer que notre programme écologiste donne des résultats et améliore la vie des gens, affirme Raphaëlle Rémy-Leleu. Regardez ­comment ­s’organisent les débats avant les municipales à Lyon, ­Grenoble ou ­Strasbourg. »

La notion d’arc républicain est à géométrie variable. C’est un abus de langage lancé par les partis de gouvernement.


Maxime Laisney

Face aux critiques, les Verts ont réactivé leur commission de lutte contre l’extrême droite : « Marine Tondelier n’a pas peur de parler d’antifascisme », affirme Raphaëlle Rémy-Leleu. Même détermination du côté de LFI. « L’extrême droite fonctionne sur des affects négatifs, la peur et le rejet de l’autre, observe un très proche de Jean-Luc Mélenchon. Notre force, c’est que l’on sait se défendre et que l’on fait bloc. »

Ainsi, quand le parti est accusé de diffuser une affiche représentant Cyril Hanouna, pris pour emblème de l’extrême droite, avec des codes antisémites, la direction serre les rangs et refuse de lâcher le ou les responsables. Débarrassé de ses éléments les plus critiques, LFI fait bloc autour de son leader historique, avec des éléments de langage bien rodés.

Un arc républicain « à géométrie variable »

« La notion d’arc républicain est à géométrie variable, avance le député insoumis Maxime Laisney à Politis. C’est un abus de langage lancé par les partis de gouvernement car Jean-Luc Mélenchon a fait 22 % à la dernière présidentielle. » Traduction, si LFI est aussi attaquée, c’est qu’elle fait peur à ses adversaires politiques et aux grands patrons.

Pour ces élus, l’isolement de LFI date d’avant l’attaque du 7 Octobre, souvent citée comme un tournant à gauche. « En 2023, alors que le gouvernement était dans l’obligation de présenter une loi de programmation énergie climat, Agnès Pannier-Runacher avait exclu LFI des groupes de travail », se souvient le député Maxime Laisney.

Chez LFI, on lance un appel solennel aux socialistes : « Ils feraient bien de se méfier ; si on s’effondrait aux élections, ce sont eux qui se retrouveraient sous le feu des critiques avec les mêmes méthodes dégueulasses qui sont pratiquées », déclare en off un proche de Jean-Luc Mélenchon.

Les discours tendant à mettre LFI sur le même plan que le RN contribuent à dédiaboliser Le Pen et Bardella.

Dernièrement, c’est la montre du député Louis Boyard qui a fait l’objet d’une campagne de désinformation particulièrement virale de la part de l’extrême droite sur les réseaux sociaux, jusqu’à être reprise en Argentine par le président d’extrême droite Javier Milei. L’élu du Val-de-Marne a choisi, en accord avec la direction du parti, de répondre sur le ton de l’humour.

Mais, parfois, les conséquences peuvent « être graves », souligne un cacique LFI, qui évoque les « deux déménagements » du député après des menaces. Pour les insoumis, les discours tendant à les mettre sur le même plan que le RN, voire à les rendre moins fréquentables, contribuent à dédiaboliser Marine Le Pen et Jordan Bardella. « Entre un candidat socialiste, un macroniste et un RN, la bourgeoisie ne choisira pas le PS », prévient le député Maxime Laisney. Démonstration lors du débat sur le budget à l’Assemblée : quand le RN traite les socialistes de « communistes » face à la proposition de la taxe Zucman, la droite applaudit.

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