« Au Cameroun, la jeunesse voudrait s’inspirer de la Gen Z »

La politiste Marie-Emmanuelle Pommerolle, spécialiste du Cameroun, analyse la place du pays dirigé d’une main de fer par le nonagénaire Paul Biya depuis 1982, au lendemain de sa réélection, dans l’espace régional ouest-africain et avec l’Occident, dont l’ancienne puissance coloniale française.

Olivier Doubre  • 31 octobre 2025 abonné·es
« Au Cameroun, la jeunesse voudrait s’inspirer de la Gen Z »
Des partisans du leader de l'opposition camerounaise et candidat à la présidence Issa Tchiroma Bakary, à Yaoundé, le 27 octobre 2025.
© AFP

Maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris-1, Marie-Emmanuelle Pommerolle observe la société camerounaise où la jeunesse, majoritaire, souvent éduquée, souffre de voir le pays confisqué par des vieillards qui se sont approprié le pouvoir depuis des décennies et n’agissent plus depuis longtemps. Mais elle souligne aussi que la politique étrangère du pouvoir a toujours été marquée par la discrétion et l’éclectisme, qui lui a permis de développer – outre une relation privilégiée avec la France, ancienne puissance coloniale –, des alliances aussi bien avec le Gabon voisin que la Chine, Israël ou la Turquie.

Comment interpréter les résultats des élections de dimanche 12 octobre qui ont vu la réélection de Paul Biya pour un huitième septennat à l’âge de 92 ans ? Son pouvoir autoritaire semble encore tenir le coup ?

Les résultats officiels font de lui le vainqueur, mais avec un résultat bien moins important que lors des scrutins précédents [il a remporté l’élection avec plus de 53 % des suffrages exprimés selon le Conseil constitutionnel, N.D.L.R.]. Ce qui montre que même les chiffres officiels avalisent une érosion du soutien populaire pour Paul Biya. Par ailleurs, sa victoire est largement contestée par un opposant que l’on peut qualifier de « surprise », puisque celui-ci, Issa Tchiroma Bakary, était ministre jusqu’à sa démission, au mois de juin dernier. Il revendique ainsi sa victoire sur la base de procès-verbaux qu’il a réussi à collecter, dans les départements les plus peuplés du pays.

Le système apparaît aujourd’hui comme fortement contesté, ne reposant plus que sur la force.

Le système apparaît donc aujourd’hui comme fortement contesté, ne reposant plus que sur la force, avec des manifestants soumis à une répression très violente [5 morts en trois jours, depuis la proclamation des résultats lundi dernier, 27 octobre, N.D.L.R.]. Et deux militants importants, qui sont parmi ceux qui ont fait en sorte que Tchiroma Bakary puisse se présenter comme leader d’une coalition d’opposition, ont été arrêtés le 24 octobre. Ce qui traduit bien une certaine fébrilité du pouvoir.

Quelle place tient le Cameroun dirigé par Paul Biya dans cette région de l’Afrique ?

Du point de vue économique et stratégique, c’est un pôle très important, d’abord parce que le port de Douala est celui qui permet l’acheminement de beaucoup de marchandises dans tout l’arrière-pays de la région, vers la Centrafrique ou le Tchad notamment. C’est aussi une économie importante de la région parce que diversifiée : elle est fondée sur l’extraction des ressources, comme le pétrole ou de nombreux minerais, mais aussi sur l’agriculture, et quelques services. C’est un grenier pour toute la région qui exporte beaucoup de produits agricoles, notamment vers le Gabon voisin.

Du point de vue de la politique étrangère, le Cameroun a toujours été soucieux de discrétion en termes de diplomatie, sans se mêler autant que possible des affaires des autres. Dans une sorte de volonté de faire profil bas, ménageant ainsi la plupart de ses voisins et les grandes puissances. Le système diplomatique de Paul Biya s’emploie à jouer sur de nombreux tableaux, en multipliant le nombre d’alliés avec relativement peu d’ennemis directs, que ce soit dans la région mais aussi vis-à-vis des Occidentaux, de la Chine à la Russie.

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J’ajouterais aussi que le Cameroun est un pays qui accueille volontiers des réfugiés d’États voisins, en guerre ou traversant des crises graves. Notamment ceux en provenance du Nigeria où sévit Boko Haram, des conflits de Centrafrique, certains Tchadiens lors de catastrophes écologiques. Il joue ainsi en quelque sorte un rôle d’amortisseur des crises de la région. Mais c’est aussi un pays d’émigration : beaucoup de Camerounais partent travailler, comme au Gabon (dans des secteurs comme l’agriculture ou le commerce), ou en France, aux États-Unis, au Canada, en Afrique de Sud ou au Nigeria (principalement la diaspora anglophone dans ce cas)…

Pour le Cameroun, la France n’est absolument pas le seul et principal allié.

Dans ces pays, il s’agit d’une émigration de ressortissants camerounais souvent très éduqués, car le pays a beaucoup investi dans l’éducation – même si l’éducation publique manque cruellement de moyens, il existe beaucoup d’écoles et d’établissement d’enseignement supérieur privés et il y a beaucoup d’étudiants camerounais diplômés, dans tous les domaines d’ailleurs. Ces Camerounais de la diaspora jouent aussi un rôle important dans la politique étrangère camerounaise, car ils donnent un écho à ce qui se passe au pays. On y entend pas mal d’opposants au pouvoir en place. C’est le cas dans la crise postélectorale actuelle.

Le Cameroun est-il l’un des derniers rouages de la Françafrique, ou de ce qu’il en reste aujourd’hui, notamment après la chute des régimes très liés à la France au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad…) ?

Il est vrai qu’il reste un allié de Paris, par rapport à ce qui se passe au Sahel, ou même au Sénégal, mais un allié qui est toutefois moins soutenu, ou moins intime, que l’allié ivoirien, celui-ci étant très lié à la classe politique française – et à la classe politique internationale du fait du parcours du président Ouattara au FMI. La situation économique fait aussi que, s’il y a de grandes entreprises françaises présentes au Cameroun, la croissance y est plus faible et que, pour celles-ci, c’est un partenaire moins intéressant que la Côte d’Ivoire.

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Le système politique vieillissant au Cameroun ne fournit pas non plus des conditions d’investissement adéquates. Politiquement, le Cameroun reste un allié important, à la fois parce qu’il n’y en a presque plus en Afrique francophone, et parce qu’il est considéré comme une zone dite « stable » – même si, depuis dix ans, il y a des crises graves, dans la région de l’Extrême-Nord liées à Boko Haram, et à l’ouest dans les régions anglophones. Mais, encore une fois, pour le Cameroun, la France n’est absolument pas le seul et principal allié.

La notion de Françafrique est-elle dépassée ?

C’est une notion qui a été très intéressante par le passé pour décrire les liens – et la dépendance – des anciennes colonies françaises après les indépendances avec Paris, mais pour Biya et son gouvernement, la France n’est absolument pas le seul allié et ils ne sont pas dépendants de Paris. Par exemple, la sécurité autour du président, c’est une société privée israélienne qui l’assure. C’est pourquoi, avec l’Érythrée, le Cameroun est le seul État africain qui, jamais, ne condamne Israël. Mais il y a aussi les intérêts économiques chinois en matière de minerais et de projets d’infrastructure. C’est une tendance marquée aujourd’hui, avec les pays du Sahel, qui voit nombre de pays africains se rapprocher davantage de ceux qu’on appelle les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, …).

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Au Cameroun, cela s’est fait historiquement par des alliances économiques et diplomatiques qui se sont installées dans le temps. Avant 1982 et l’arrivée au pouvoir de Paul Biya, des liens importants s’étaient déjà établis avec la Chine. il y a aussi des intérêts turcs bien implantés… Il ne s’agit pas d’un retournement, comme on a pu le voir au Sahel, mais plutôt un mouvement de plus long terme quant à la diversification des alliés, avec une volonté de ne pas être dépendant principalement, ou exclusivement, de la France. Même si, bien sûr, il faut nuancer car la relation avec Paris demeure ce qu’on appelle un rapport « privilégié ». Mais Biya n’est pas, et depuis longtemps, la marionnette de la France. La voix de Paris compte assurément, mais sans que cela signifie une dépendance totale.

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Finalement, la contestation contre Biya a été forte également dans le pays, même si elle n’est pas parvenue, ni dans les urnes ni dans la rue, à renverser son pouvoir. Y aurait-il une Gen Z en germe au Cameroun, à l’instar de ce qu’on a vu au Kenya, au Népal, à Madagascar, au Maroc ou aux Philippines ?

Il y a aussi ici une contradiction très forte entre cette jeunesse qui est majoritaire, et un pouvoir de vieillards, sclérosé.

Les revendications ne s’y expriment pas de la même manière avec la contestation d’une jeunesse auto-organisée. On est là dans un contexte très différent puisqu’on sort d’une séquence institutionnelle dans le cadre d’une élection présidentielle. Mais on voit quand même une jeunesse voulant reprendre son destin en main, avec des aspirations semblables, et qui s’inspirent de ce qui se passe ailleurs, notamment sur les réseaux sociaux où l’on parle de Madagascar ou des contestations de ces derniers jours en Tanzanie. Il y a aussi ici une contradiction très forte entre cette jeunesse qui est majoritaire, et un pouvoir de vieillards, sclérosé, complètement confisqué par ceux-ci.

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