Le Medef annule son meeting auquel personne ne voulait aller
Profitant de la démission surprise de Sébastien Lecornu, l’organisation patronale a décidé de reporter son « énorme meeting », alors que cette mobilisation s’annonçait comme un pétard mouillé.

© ALAIN JOCARD / AFP
Ouf, revoilà le bon père de famille. Ce mardi 7 octobre, au matin, sur les ondes de France Info, Patrick Martin a remisé son costume de grognard pour ressortir celui de chef d’entreprise « responsable » qui pense, avant tout, à l’intérêt suprême de la Nation. En moins de 10 minutes, le président du Medef s’indigne ainsi de la difficulté des ménages précaires à trouver un logement social, ou encore des jeunes à trouver un emploi en apprentissage. Un revirement orthogonal, après deux semaines de radicalisation virulente contre toute forme de justice fiscale et sociale.
Comment expliquer ce changement de braquet ? La veille, Sébastien Lecornu a remis sa démission, suite à un caprice de Bruno Retailleau, plongeant toujours plus le pays dans le chaos politique. Pour le Medef, cette actualité est une aubaine. Il ne faut d’ailleurs que de quelques heures à l’organisation patronale pour annoncer le report, a minima, son « énorme meeting ».
« Personne ne le suivait »
Ce raout devait se tenir le 13 octobre, à l’Accor Arena. Une « grande mobilisation patronale » pour « remettre de la rationalité dans le débat public ». Enfin, surtout, pour s’indigner de toute mesure qui viendrait remettre un peu de justice fiscale. Notamment la taxe Zucman, visant à imposer les ultra-riches, qui donne de l’urticaire à Patrick Martin, directement concerné par cette mesure plébiscitée par l’opinion publique.
C’est d’ailleurs depuis que l’idée d’une meilleure imposition des personnes détenant plus de 100 millions d’euros de patrimoine a fait son chemin que le Medef, par la voix de son président, est passé à l’offensive. Premier étape : mettre la pression sur le nouveau Premier ministre, tout juste nommé, dans un entretien au lance-flamme publié dans Le Parisien : « Il est hors de question d’aller plus loin : les entreprises ne peuvent pas supporter de nouveaux impôts ou des hausses d’impôts supplémentaires. » La menace d’une « grande mobilisation patronale » est lancée.
Il a construit son truc tout seul puis il s’est retourné. Et il s’est aperçu que personne ne le suivait.
Eric Chevée
Derrière, la grande journée intersyndicale du 18 octobre, avec près d’un million de personnes dans la rue selon les syndicats, continue de mettre la pression sur Sébastien Lecornu. « Taxer les riches » devient un slogan de ralliement. Une revendication largement partagée. C’en est trop pour le Medef. Reçu à Matignon quelques jours plus tard, l’organisation patronale met sa menace à exécution. Sa « grande mobilisation » aura lieu le 13 octobre à l’Accor Arena et prendra la forme d’un « énorme meeting » devant rassembler plusieurs milliers de chefs d’entreprise. Patrick Martin souhaite que l’ensemble du front patronal y participe.
C’est là que les problèmes commencent pour le patron des patrons. « Il a construit son truc tout seul, a lancé son initiative fièrement, puis il s’est retourné. Et il s’est aperçu que personne ne le suivait », raille Éric Chevée, numéro deux de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Son organisation, comme l’union des entreprises de proximité (U2P), décline l’invitation à participer à ce mouvement patronal assez inédit.
Pis, Michel Picon, numéro 1 de l’U2P, ne prend pas le dos de la cuillère pour commenter l’initiative du Medef. « Je n’amènerai pas les artisans, les commerçants, les professions libérales de France pour servir de chair à canon à des intérêts qui ne sont pas les nôtres », affirme-t-il, n’hésitant pas à qualifier le meeting de Patrick Martin de « lutte de classes inversée ». Le message est clair : « la manifestation BCBG, non merci. »
Sans les représentantes des petites et moyennes entreprises, et avec le soutien de l’AFEP, la très discrète Association des entreprises privées, qui rassemble 117 grands groupes de l’économie française, l’événement du Medef prend l’allure d’une mobilisation de riches pour défendre leurs privilèges. Dans les rangs syndicaux, les moqueries fusent. « Ils montrent à quel point ils manquent de sérieux, surtout au vu du contexte », tacle Dominique Corona, numéro 2 de l’Unsa.
Surtout, sans les petits patrons pour faire le nombre, la réussite de ce meeting devient de plus en plus hypothétique. Et « la crainte de certains de n’avoir que quelques ‘centaines de pingouins rassemblés’ », pour reprendre les termes de Michel Offerlé, professeur émérite de sciences politiques à l’ENS et auteur, notamment, de Ce qu’un patron peut faire (Gallimard 2021), de plus en plus prégnante. « Vont-ils payer leurs salariés pour faire le nombre ? », rigole même, sur le ton de la blague, Éric Chevée.
La sécession autrement
La situation devient encore plus cocasse quand les premières orientations prises par Sébastien Lecornu fuitent dans la presse. Celles-ci sont parfaitement compatibles avec l’agenda patronal. « La copie mise sur la table par le Premier ministre nous va parfaitement jusqu’à maintenant », assume Éric Chevée, quelques heures avant la nomination du gouvernement qui s’avèrera être le plus court de l’histoire de la Vème République. La CPME partage d’ailleurs, peu ou prou, les mêmes revendications que celles du Medef. « Nous ne sommes pas sur une différence programmatique avec eux, mais bien sur une divergence de stratégie de court terme », poursuit-il.
Ils montrent à quel point ils manquent de sérieux, surtout au vu du contexte.
Dominique Corona
Une mobilisation de nantis, dans un Bercy à moitié vide, et avec un budget qui correspond parfaitement aux attentes patronales. D’un moyen de mettre la pression, « l’énorme meeting » du 13 octobre vire au ridicule. La démission précipitée de Sébastien Lecornu offre alors un prétexte parfait pour reporter, sans trop de vague, l’événement.
« Le moment d’extrême tension que nous traversons nous incite à contribuer à l’apaisement du pays », justifie l’organisation dans un communiqué publié ce lundi 6 octobre. En interne, ce n’est pas tout à fait la même musique. « La fréquentation n’était pas au rendez-vous, même si on faisait énormément de phoning [d’appels] », confie un membre de l’organisation patronale à nos confrères de La Tribune.
Cela veut-il dire que le grand patronat ne veut plus faire sécession ? Certainement pas. Ce mardi matin, Patrick Martin continue de s’inquiéter de toutes potentielles hausses d’impôt. Et, de manière générale, de tout bouleversement de la politique de l’offre menée depuis dix ans. Simplement, pour éviter le ridicule, le Medef préfère retourner à son orientation stratégique habituelle : le lobbying discret mais, souvent, redoutablement efficace auprès des décideurs politiques.
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