« Les associations permettent des espaces démocratiques alternatifs aux élections »

Samedi 11 octobre, le Mouvement associatif appelle à une mobilisation nationale nommée « Ça ne tient plus ! » Inédite, elle souligne la situation critique du monde associatif, entre manque de financements, atteinte à la liberté d’association et la marchandisation du modèle.

William Jean  • 10 octobre 2025 abonné·es
« Les associations permettent des espaces démocratiques alternatifs aux élections »
© Sincerely media / Unsplash

Chargé de recherche à l’Observatoire des libertés associatives et chercheur associé au Ceraps (Université de Lille), Antonio Delfini travaille sur le rôle démocratique des associations. Alors qu’une grande mobilisation nationale, nommée « Ça ne tient plus ! » est prévue samedi 11 octobre, il tire la sonnette d’alarme face aux dérives de l’État dans un ouvrage co-écrit avec Julien Talpin, L’État contre les associations.Anatomie d’un tournant autoritaire.

Est-il commun pour les associations de se mobiliser de cette manière ?

Antonio Delfini : Il y a près de 300 rassemblements déjà prévus. Le Mouvement associatif a assez peu l’habitude de faire des mobilisations dans la rue de cette manière-là. Cela montre l’urgence dans laquelle on se trouve aujourd’hui.

Quels sont les marqueurs qui rendent inédite cette mobilisation des associations ?

Il y a plusieurs dynamiques qui viennent toucher de plein front le monde associatif : une baisse des financements publics, qui est la base de l’appel « Ça ne tient plus ! », une logique de marchandisation des associations avec des appels à projets et de la commande publique, et enfin les atteintes aux libertés associatives.

Les baisses des financements atteignent directement les Français.

Le principal objet de la mobilisation est la crainte du financement. Comment cela se traduit de manière concrète pour les associations ?

Il y a une étude assez importante sur la question par le Conseil économique social et environnemental (Cese), que le Mouvement associatif a repris au propre auprès de ses membres. Elle montre que les associations ont des trésoreries de plus en plus restreintes : 31 % disposent d’une trésorerie inférieure à trois mois et 28 % déclarent que la situation a un impact direct sur leurs activités.

Quelles sont les répercussions pour les publics concernés ?

Cela veut dire moins de familles accompagnées dans leurs problématiques de logement. Moins de personnes hébergées dans des structures pour des personnes sans-abri. Moins d’activités sportives, culturelles et dans tous les secteurs. Les associations sont partout dans la vie quotidienne. C’est 20 millions de bénévoles et 1,8 millions de salariés. C’est considérable. Les baisses des financements atteignent directement les Français.

Depuis 2017 et le début du premier mandat d’Emmanuel Macron, l’État semble faire peser les failles du service public sur les associations, est-ce le cas ?

C’est une vraie dynamique. Il y a effectivement une sorte d’externalisation du travail de l’État providence auprès de la direction des associations. Ce qui permet de réaliser des actions sociales à moindre frais. Et en même temps, l’État empêche les associations de pouvoir avoir un discours critique. Il demande aux associations de respecter des devoirs de neutralité politique et religieuse habituellement réservés aux fonctionnaires.

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Vous parlez du contrat d’engagement républicain. Jusqu’à quel point participe-t-il à écorner les libertés associatives ? 

En effet, et c’est la loi séparatisme d’août 2021 qui incarne cette dynamique, en réalité. Il y a un durcissement des relations entre État et associations depuis une dizaine d’années, avec de plus en plus d’attaques et d’atteintes aux libertés associatives. Cela passe par des coupures de subventions quand des associations organisent des actions ou ont des propos qui peuvent déplaire aux institutions. C’est aussi juridique, comme avec la disqualification de militants. La loi est venue mettre en place deux mesures : l’extension des mesures de dissolution des associations et le contrat d’engagement républicain qui permet effectivement de couper les subventions et de retirer des agréments à des associations considérées comme « antirépublicaines ».

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Pourtant, la lutte contre cette répression ne figure pas dans les appels du mouvement « Ça ne tient plus ! ». Existe-il un consensus sur cette question ?

Je pense que c’est une volonté de cadrage. En réalité, le Mouvement associatif a été opposé au contrat d’engagement républicain dès le début. Ses membres voient bien qu’il y a de sérieux problèmes. Quiconque regarde la situation des associations aujourd’hui en France ne peut être qu’interrogé par ces atteintes aux libertés associatives. Ce consensus a permis, ces dernières années, des rapprochements entre des secteurs qui habituellement ne travaillaient pas ensemble.

On pourrait dire que le Mouvement associatif agit sur cette campagne comme une grande centrale syndicale ?

Il y a la démocratie représentative de l’élection. Mais, il y a d’autres espaces qui sont des contre-pouvoirs nécessaires à l’exercice de la démocratie. Il y a le syndicalisme, les médias et les associations. Celles-ci sont primordiales par les services qu’elles rendent, de plus en plus nécessaires au vu de l’augmentation de la pauvreté. Mais aussi par leur rôle de lanceuses d’alerte. Beaucoup d’avancées mises en place par l’État font suite à des alertes d’associations. Elles jouent un vrai rôle dans la mise en place des politiques.

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Face à ces offensives contre la politisation des associations, que pourrait créer cette campagne de mobilisation ?

Ce rapprochement est en train d’avoir lieu depuis un petit moment. Avoir des solidarités inter- associatives entre secteurs, entre villes et peut-être entre les associations qui ont des positionnements politiques différents, permet d’avoir des réels moyens de se défendre.

Il faut donner les moyens aux associations d’interpeller les pouvoirs publics sur le terrain.

Quelles solutions proposez-vous ?

On met sur la table des éléments de discussion qui sont en réalité déjà assez partagés. Le référendum d’initiative citoyenne qui a émergé avec le mouvement des gilets jaunes, pour pouvoir remettre en place une forme de démocratie directe. Les commissions mixtes, pour que l’attribution de subvention ne soit plus le fait du prince. Et puis le fonds d’interpellation. Il faut donner les moyens aux associations d’interpeller les pouvoirs publics sur le terrain. Pour nous, il y a un grand enjeu démocratique derrière ce sujet. La démocratie, ce n’est pas que l’élection et on voit où on en est aujourd’hui avec cette situation. Il faut des espaces démocratiques alternatifs.

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