À l’Assemblée, les macronistes préfèrent cohabiter avec l’extrême droite
Pour l’élection du bureau de la Chambre basse, le bloc central a préféré dealer avec le Rassemblement national et lui offrir deux vice-présidences de l’Assemblée. Un accord qui pourrait placer encore une fois le premier ministre sous la surveillance de l’extrême droite.

© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Les digues sautent les unes après les autres. Depuis juin, Yaël Braun-Pivet, la présidente macroniste de l’Assemblée nationale, pousse, au nom d’une plus grande représentativité, pour que l’extrême droite accède à la plus haute autorité collégiale de l’Hémicycle : le bureau de la Chambre basse. Le Rassemblement national (RN) y est absent depuis 2024.
Une « anomalie démocratique », selon les mots sur RMC, de celle qui siège au Perchoir depuis 2022. Une « anomalie démocratique » qu’il convient donc, selon elle, de réparer ce 1er octobre, jour de scrutin pour décider des six vice-présidents et de la questure de l’Assemblée. L’élection des 12 secrétaires aura lieu demain, le 2 octobre.
Pour rappel, la gauche occupait 13 sièges parmi les 22 membres de l’instance. Le « socle commun » était représenté par sept députés. Le RN, le parti d’Éric Ciotti, l’Union des droites pour la République (UDR) et le Modem n’étaient pas représentés. Pour respecter le front républicain des législatives de 2024, l’Assemblée avait fait bloc pour que les troupes marinistes n’entrent pas au bureau.
« La présidente entend briser le barrage républicain, dénonçait hier Benjamin Lucas, porte-parole du groupe écolo. En 2024, les Français ont répondu à cette question : “Voulons-nous donner plus de pouvoir à l’extrême droite ?” Ils ont dit non. Aujourd’hui, les macronistes et les Républicains veulent déchirer ce serment. »
Elle s’est fait élire en 2022 à la tête de l’Assemblée avec le Rassemblement national. Maintenant, elle passe à la caisse.
En Macronie, le front républicain est désormais mort et enterré. Ce jour, le bulletin du bloc central comportait six noms : Clémence Guetté et Nadège Abomangoli pour La France insoumise (LFI), Christophe Blanchet pour le Modem et Marie-Agnès Poussier-Winsback pour Horizons, ainsi qu’Hélène Laporte et Sébastien Chenu pour le RN. Les vice-présidents sortants Naïma Moutchou (Horizons), Roland Lescure (Ensemble pour la République, ex-Renaissance) et Xavier Breton (Droite républicaine) ont renoncé à se présenter.
Renversement politique
Dans son plan, Yaël Braun-Pivet souhaitait offrir deux postes de vice-présidents pour chaque bloc politique. Arithmétiquement, la Macronie et la droite ont donc préféré sacrifier un poste qui leur était acquis ainsi qu’un siège détenu par la gauche pour faire entrer deux représentants marinistes. « Elle s’est fait élire en 2022 à la tête de l’Assemblée avec le Rassemblement national. Maintenant, elle passe à la caisse », glisse-t-on dans l’entourage de Charles de Courson, député Liot et rapporteur général du budget.
Plus qu’un simple symbole, c’est un renversement politique majeur. Mais pas pour la présidente de l’Assemblée. Dans une vidéo publiée sur X, Yaël Braun-Pivet l’assume : « C’est comme si 174 copropriétaires [la somme des députés RN, UDR et Modem, N.D.L.R.] étaient exclus de toutes les décisions concernant leur immeuble. Ça vous choque ? Moi aussi. » Une tentative claire de dépolitiser un scrutin censé déterminer la composition d’une autorité qui a pour rôle d’encadrer la vie parlementaire en prononçant des sanctions contre des élus ou en autorisant la création de groupes d’études et de groupes d’amitié.
De leurs côtés, les groupes socialistes, communistes et insoumis ont présenté les candidatures des deux vice-présidents sortants uniquement insoumis, Clémence Guetté et Nadège Abomangoli. Ces trois groupes n’ont donc pas soutenu la candidature de l’écolo Jérémie Iordanoff, vice-président sortant. À gauche, les divisions ne sont jamais très loin.
Concernant le groupe Écologiste et social, il a présenté un bulletin avec six noms : les insoumis Nadège Abomangoli et Clémence Guetté, Christophe Blanchet et Marie-Agnès Poussier-Winsback pour le « socle commun » ainsi que deux écologistes, Jérémie Iordanoff et Marie Pochon. « Si on ne se présentait pas, il n’y aurait pas eu de vote. Nous avons présenté deux candidatures surnuméraires pour qu’il y ait un scrutin, explique Marie Pochon. On a laissé le choix aux députés qui ne voulaient pas de l’extrême droite de voter pour deux candidats démocrates. »
Est-ce que tout ça fait partie d’un accord global afin d’amadouer le RN ?
Quelques minutes après 17 heures, le verdict tombe. Comme attendu, le RN rafle deux vice-présidences avec l’élection de Sébastien Chenu (341 voix) et Hélène Laporte (340 voix). Les insoumises Clémence Guetté (501 voix) et Nadège Abomangoli (501 voix) sont reconduites. Marie-Agnès Poussier-Winsback (385 voix) et Christophe Blanchet (387 voix) représenteront le « socle commun ». Marie Pochon (101 voix) et Jérémie Iordanoff (107 voix) n’ont pas été élus.
« Une trahison »
Grâce aux macronistes, l’extrême droite vient d’arracher une victoire. « C’est une trahison du pacte pour lequel ils ont été élus », lâche le porte-parole du groupe socialiste Arthur Delaporte. « Cette confiance qui nous est accordée n’est que justice », pour Sébastien Chenu. « Cela permet d’avoir une vraie représentation à la hauteur de nos poids politiques », abonde Hélène Laporte. Dans le bloc central, on tente de minimiser la portée de ce scrutin. « Nous rétablissons quelque chose de naturel dans la vie politique : “On combat les idées pendant les élections et une fois que les personnes sont élues, ils sont à égalité de droit et de devoir”», affirme le président du groupe Modem, Marc Fesneau.
Est-ce que Sébastien Lecornu va dîner avec Marine Le Pen pour négocier le budget ?
L. Balage El Mariky
À gauche, on s’interroge sur l’utilité de cette manœuvre. « Est-ce que tout ça fait partie d’un accord global afin d’amadouer le RN pour ne pas que Sébastien Lecornu soit censuré dès son discours de politique générale ? », s’interrogeait un député insoumis il y a quelques jours. Alors que Sébastien Lecornu rêve encore d’arracher un accord de non-censure avec le Parti socialiste (PS), cette entente parlementaire entre macronistes et marinistes pourrait paradoxalement tout faire capoter. Car les socialistes ne se voient pas négocier avec un gouvernement qui ne regarde que vers l’extrême droite.
Politiquement, cette manoeuvre pourrait bien représenter les fondations d’un pacte entre le gouvernement et l’extrême droite. Ainsi, le premier ministre se placerait, comme ses deux prédécesseurs Michel Barnier et François Bayrou, sous la surveillance du RN. Hier, la porte-parole du groupe écolo Léa Balage El Mariky avançait : « Est-ce que la Macronie est en train de sceller un accord avec l’extrême droite ? Est-ce que Sébastien Lecornu va dîner avec Marine Le Pen pour négocier le budget ? Il devra rendre des comptes. »
Ce 1er octobre a eu lieu, en parallèle, la reconduction de la questure de l’Assemblée, des fonctions importantes puisqu’elles sont chargées des questions administratives et financières de la Chambre basse. Et puisqu’il y avait autant de candidates que de postes, il n’y a pas eu de scrutin. La socialiste Christine Pirès-Beaune, la députée macroniste Brigitte Klinkert ainsi que la députée Droite républicaine Michèle Tabarot ont été reconduites.
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