À l’Assemblée, Sébastien Lecornu dit merci aux socialistes

Le premier ministre échappe aux censures. Chez les socialistes, la fronde n’a pas vraiment eu lieu. Et la gauche se retrouve écartelée entre deux pôles. 

Lucas Sarafian  et  June Geffroy  • 16 octobre 2025 abonné·es
À l’Assemblée, Sébastien Lecornu dit merci aux socialistes
Sébastien Lecornu, lors de l'examen des deux motions de censure à l'Assemblée nationale, le 16 octobre 2025.
© Alain JOCARD / AFP

Le jour où tout peut basculer. Le premier ministre est à peine renommé, son gouvernement vient d’être composé, l’examen du budget n’a même pas commencé. Mais Sébastien Lecornu est déjà menacé. Lors de ses consultations, il confessait être le premier ministre « le plus faible de la Ve République ». Prophétique. Ce jeudi 16 octobre, l’Assemblée examine les deux motions de censures déposées par La France insoumise (LFI) et le Rassemblement national (RN). Quatre jours après sa reconduction à Matignon, le « moine-soldat » du macronisme tremble déjà.

Car au milieu du chaudron parlementaire, il est un premier ministre mal aimé. Sa base est très fragile, le « socle commun » a déjà explosé en route la semaine dernière, lors de la composition de son premier gouvernement, et ses supposés soutiens, Édouard Philippe, Gabriel Attal, parmi tant d’autres, sont pétris d’ambitions. Mais depuis deux jours, Sébastien Lecornu peut respirer. Avec la suspension de la réforme des retraites annoncée lors de son discours de politique générale, le premier ministre a réussi à séduire les socialistes.

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Aujourd’hui, le parti au poing et à la rose ne se voit pas faire tomber ce chef de gouvernement qui a redonné du pouvoir au Parlement en abandonnant le 49.3, ce premier ministre qui, selon les socialistes, leur a offert sur un plateau une victoire politique sur un totem du macronisme.

Situation intenable

Mais l’histoire n’est jamais écrite d’avance. Une vingtaine de députés à droite, au sein du groupe Liot et des frondeurs du Parti socialiste (PS) pourraient faire tomber Sébastien Lecornu et tout son gouvernement, ce 16 octobre. Et l’insoumise Aurélie Trouvé l’a bien compris. À la tribune, l’oratrice mélenchoniste tente de convaincre ces socialistes qui seraient tombés dans le piège de la suspension des retraites, « un très bref report glissé par un amendement budgétaire dont rien ne garantit qu’il soit dans le texte final », une manœuvre obligeant les socialistes à accepter la totalité de la copie du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour que la réforme Borne soit effectivement suspendue.

Ils vont se retrouver dans une situation intenable.

« Ils vont se retrouver dans une situation intenable », glisse un député insoumis. Mais dans l’hémicycle, les socialistes sont aux abonnés absents. Elle s’adresse donc, dans le vent, aux « héritiers de Jean Jaurès » : « Jean Jaurès disait : “Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel.” Alors montrez ce courage et censurez ! »

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La gauche est divisée. Et Marine Le Pen le sait. Soucieuse de ne pas paraître comme une ingénieure du chaos ou une béquille du macronisme, la patronne du RN tente de moquer cette « piteuse coalition des partis du système » qui, effrayés par de nouvelles élections, avaleraient toutes les couleuvres. Obnubilée par de futures législatives, la triple candidate à la présidentielle se voit comme la seule opposante au système : « Ce n’est pas une crise politique, c’est une crise politicienne, une crise de vieux partis fatigués qui ont pour projet d’empêcher le Rassemblement national d’arriver au pouvoir. »

Otage

Attaqué des deux côtés, Sébastien Lecornu n’a pas préparé de discours. Il arrive au micro avec quelques notes seulement. À la tribune, il est bousculé, il se fait huer, il est, parfois, obligé de s’arrêter. Mais il reste sur sa ligne : dénigrer ces censures qui n’ont qu’un objectif selon lui, celui de déstabiliser le pays et de perpétuer la crise. « L’histoire jugera très durement ces manœuvres politiciennes dans lesquelles on aura confondu la tribune de l’Assemblée nationale avec une tribune publicitaire, dit-il. Ne prenez pas en otage le budget de la nation et de la sécurité sociale. »

Notre non-censure n’est, en aucun cas, un pacte de non-censure.

L. Baumel

Mais ce n’est pas la réponse du premier ministre qui est la plus attendue. Car les socialistes doivent s’expliquer : pourquoi sauver cet énième gouvernement macroniste ? La tâche, ardue, est confiée à Laurent Baumel. « Nous comprenons intimement et parfaitement les sentiments et les raisonnements qui conduisent nos collègues des autres groupes de gauche à censurer », commence-t-il. Les socialistes ne veulent surtout pas se couper du reste de la gauche. Mais ils rêvent de retrouver leur image de parti de gouvernement, ce parti qui préfère le compromis politique plutôt que la conflictualité. Équilibre difficile.

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Néanmoins, Laurent Baumel le promet : les socialistes restent libres. « Notre non-censure n’est, en aucun cas, un pacte de non-censure. Nous ne nous engageons à rien. nous ne renonçons à rien », certifie-t-il. Et il jure même que les socialistes ne se sont pas fait rouler dans la farine en cédant devant la promesse de la suspension de la réforme des retraites. Comme pour prouver que le PS fait toujours partie de l’opposition, Baumel menace directement Sébastien Lecornu : « La pérennité même de votre gouvernement tient à cet engagement pris à cette tribune et devant des millions de Français. »

Maître de ses votes

En fin de matinée, le verdict tombe. 271 députés ont voté la censure déposée par les insoumis. 18 voix ont manqué. 144 l’ont fait pour celle du RN. Il n’y a donc pas eu de fronde massive au sein des socialistes. Seuls Christian Baptiste, Béatrice Bellay, Paul Christophle, Peio Dufau, Fatiha Keloua Hachi, Philippe Naillet et Jiovanny William se sont risqués à voter la censure insoumise. La situation est là : la gauche se fracture en deux blocs et chacun campe sur ses positions.

Les socialistes ne mesurent pas le moment politique et historique.

R. Pilato

Au PS, on revendique une victoire sur les retraites et le 49.3. « Chaque parlementaire sera maître de ses votes. Nous sommes prêts à assumer le débat, explique Olivier Faure, le premier des Roses. Nous allons défendre dans l’Hémicycle ce que nous avons défendu devant nos électeurs. » Une division à gauche, quelle division ?

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Pour les insoumis, ce scrutin fonde l’alliance entre les socialistes et un bloc présidentiel en émiettement. « Les socialistes ne mesurent pas le moment politique et historique. Ils auraient très bien pu épouser ce moment, faire tomber le macronisme, rompre avec le capitalisme tout en gardant leur identité », regrette le député René Pilato. Les mélenchonistes imaginent déjà la recomposition en cours : « À la fin, ce sera eux ou nous, l’extrême droite et la gauche de rupture autour des écologistes et des communistes. Il y aura des élections avant 2027 et le PS devra faire un choix », assure-t-il.

Comme à leur habitude, les écolos tentent de jouer les casques bleus. « À la fin de l’histoire, nous n’avons pas de doute sur le fait que la gauche et les écologistes se retrouveront ensemble pour incarner une alternative », prédit Benjamin Lucas. Lit-il dans une boule de cristal ? Encore ne faut-il pas confondre rêve et réalité.

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