Pourquoi les droits des animaux interrogent notre humanité
Depuis 2015, le code civil français reconnaît les animaux comme des êtres vivants doués de sensibilité. Une évolution en lien avec une prise de conscience dans la société mais qui soulève des enjeux éthiques, philosophiques et juridiques fondamentaux.

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Réjane Sénac : « Il y a une continuité entre toutes les formes de discrimination » En amont des municipales, L214 alerte sur l’hécatombe des animauxJanvier 2024, au tribunal correctionnel de Lille. Pour la première fois, la justice française condamne un homme pour des violences sur son chat, et le condamne à verser 100 euros à la Ligue de protection des animaux, partie civile dans cette affaire. Une somme symbolique, mais une condamnation au titre du « préjudice animalier » qui ouvre de nouveaux horizons pour la protection animale, et pour l’évolution du droit.
En France, les premières protections accordées à l’animal remontent au milieu du XIXe siècle, avec la loi Gramont, afin de condamner les mauvais traitements infligés en public aux animaux, notamment sur les chevaux. Selon cette loi, « seront punis d’une amende de cinq à quinze francs, et pourront l’être d’un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques. La peine de prison sera toujours appliquée en cas de récidive. »
Mais les animaux domestiques ou captifs ne seront formellement reconnus par le droit comme des êtres vivants doués de sensibilité qu’avec la loi de 1976 sur la protection de la nature dans le code rural. L’article L. 214-1 dispose que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »
De « bien meuble » à « être doué de sensibilité »
En 2015, une évolution juridique considérable a lieu permettant une meilleure application du droit existant : l’article 515-14 du code civil établit que l’animal est considéré comme un « être vivant doué de sensibilité » dans le code civil. Auparavant, il était considéré comme un « bien meuble » ou « immeuble par destination ».
En 2021, une loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale a été adoptée, et permis de nouvelles avancées : interdiction de la vente de chiots et chatons en animalerie en 2024, aggravation des sanctions pénales contre la cruauté animale, ou encore, l’interdiction des élevages de vison, de la détention d’animaux sauvages dans les cirques itinérants d’ici à 2028, et de cétacés dans les delphinariums d’ici à 2026.
Les animaux sauvages et la maltraitance des animaux dans les abattoirs ne sont pas régis par le code civil.
C. Sueur
« Certains juges et avocats se sont saisis de ce texte depuis dix ans, donc il y a eu davantage de condamnations, de peines prononcées et d’amendes données. Mais cela ne concerne qu’exclusivement les chiens et les chats… Les animaux sauvages, et par exemple, la maltraitance des animaux dans les abattoirs ne sont pas régis par le code civil », explique Cédric Sueur, éthologue et responsable du Master Éthique et droit de l’animal, à l’université de Strasbourg.
Le statut des animaux sauvages reste un angle mort de la sphère juridique car toujours considérés comme res nullius (« n’appartenant à personne »). « Le droit ne peut pas avancer efficacement sans l’éthologie [science des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel, N.D.L.R.], la philosophie et l’éthique animale. Sans prendre en compte les comportements des animaux et leurs capacités cognitives, on va juste définir des catégories socio-politiques basées sur l’utilisation des humains des animaux », détaille Cédric Sueur.
L’avancée des droits et de la protection animale se fait également sur le terrain par des prises d’initiatives telles que celles portées par Franck Rastoul, procureur général. D’abord à la cour d’appel de Toulouse, où a été créé en 2022 un pôle environnement et maltraitance animale (Pema). Puis à Aix-en-Provence, avec la mise en place en 2024 d’une cellule de lutte contre la maltraitance animale (Cluma) au parquet général de la cour d’appel.
Maltraitances animales et violences domestiques
Celle-ci poursuit ses efforts en coopérant désormais avec la sphère associative afin de garantir la prise en charge en urgence des animaux maltraités. Ce dispositif permet également d’enclencher systématiquement des vérifications sur l’existence de violences dans toute la sphère familiale, car les maltraitances animales sont souvent liées à des violences plus générales au sein du foyer, ou à des pressions sur les conjoint·es.
C’est bien une contribution à la compréhension de l’homme, à l’anthropologie, qui se dessine dans cette partie du droit par la condition qu’il réserve aux animaux.
F. Burgat
Cette approche globale fait surgir l’idée que nos rapports aux animaux révèlent beaucoup de choses de nos sociétés occidentales. Dans l’ouvrage Le droit animalier, publié en 2016, la philosophe Florence Burgat conclut que tous ces débats hissent la « ‘question animale’ au rang des questions morales et politiques » : « Au-delà des aspects strictement juridiques, c’est bien une contribution à la compréhension de l’homme, à l’anthropologie, qui se dessine dans cette partie du droit par la condition qu’il réserve aux animaux. »
Pour certains, il faut dépasser la dualité nature/culture en allant jusqu’à la reconnaissance de la personnalité juridique des animaux. En 2013, le gouvernement indien a adopté une loi conférant aux dauphins le statut de « personnes non humaines ». En 2016, le tribunal de Mendoza, en Argentine, a reconnu le statut de personne juridique non humaine à un chimpanzé femelle, lui permettant de bénéficier de l’Habeas corpus qui garantit que nul ne peut être emprisonné sans jugement. Elle a été libérée de sa cage du zoo de Mendoza et a rejoint un sanctuaire pour grands primates.
« Aujourd’hui, les animaux n’ont pas de droit : ce sont les humains qui ont des devoirs envers eux. Des associations de protection animale et certains juristes œuvrent pour accorder de véritable droits aux animaux. Cela peut être une avancée, mais je pense que l’évolution du droit doit être concomitante à l’éducation au bien-être animal », plaide Cédric Sueur.
Défi ou utopie ?
S’il semble encore compliqué d’instaurer de tels programmes au sein des écoles, l’idée fait son chemin à l’université notamment, avec l’émergence de diplômes universitaires spécialisés en droit animalier (Limoges, Toulouse, Brest, Strasbourg…). Des enseignements transversaux qui séduisent surtout les juristes souhaitant se spécialiser, mais aussi des étudiants vétérinaires, en biologie, en philosophie…
Seule une autorité indépendante est de nature à permettre d’étendre la protection, la sauvegarde nécessaire des animaux.
R. Badinter
En 2019, Robert Badinter avait proposé la nomination d’un Défenseur des droits des animaux, une autorité indépendante et garante du bien-être de tous les animaux. « Écrire des lois, rendre des décisions, tenir des colloques, formuler des codes, c’est bien. Mais seule une autorité indépendante est de nature à permettre d’étendre la protection, la sauvegarde nécessaire des animaux qui sont, disons-le, nos compagnons de vie, et souvent fraternels », affirmait-il lors d’un colloque.
Les philosophes canadiens Sue Donaldson et Will Kymlicka poussent la réflexion plus loin dans leur ouvrage Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux. Les auteurs affirment que lutter pour des « droits négatifs » (contre la torture animale, contre l’enfermement, contre la peine de mort…) n’est pas efficace et proposent une société où chaque animal – domestique, sauvage et liminaire (qui vit en liberté entre les milieux naturels et l’environnement humain) – verrait ses droits renforcés et serait un citoyen comme un autre. Défi sociétal pour les uns, utopie inatteignable pour les autres.
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