Zucman light : « Bolloré ou Arnault pourraient très bien être exonérés de cet impôt »
Maître de conférences en économie à l’université de Bordeaux et coresponsable du département d’économie de l’Institut La Boétie, Éric Berr pointe la nécessité de la taxe Zucman et les limites de la version allégée par le Parti socialiste.

© EMMA DA SILVA / AFP
Pour la lutte fiscale. La taxe Zucman doit être débattue ce 31 octobre à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances. Si l’ensemble de la gauche défend cet impôt, les socialistes proposent une alternative, une taxe Zucman « light ». Objectif : tenter de convaincre le bloc macroniste qui ne veut pas du tout remettre en question la politique des cadeaux fiscaux faits aux plus fortunés. L’économiste Éric Berr analyse l’obstination politique de la Macronie et critique l’amendement socialiste.
La taxe Zucman va être débattue à l’Assemblée nationale. Elle est soutenue par la gauche. Mais le bloc central et la droite estiment que cet impôt est une « folie fiscale », un frein à l’investissement. Comment jugez-vous cet argumentaire ?
Éric Berr : La droite accuse toujours la gauche de vouloir trop taxer. Il n’y a rien de nouveau dans ce discours. Mais regardons les choses en face : il n’y a aujourd’hui aucune taxe Zucman et la situation en matière d’investissement n’est pourtant pas reluisante. Les causes, nous disent les instituts de prévision, sont à chercher du côté de l’incertitude économique et politique qui règne dans notre pays. Je crois que là-dessus, Emmanuel Macron et ses gouvernements successifs ont une responsabilité évidente.
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, la fiscalité sur les patrimoines a diminué. Si l’on en croit le « bloc central » et la droite, l’investissement aurait donc dû reprendre. Or, ce n’est pas le cas, car les freins à l’investissement sont ailleurs. Ils viennent notamment du manque d’investissement public : s’il n’y a pas d’investissement public, les carnets de commande des entreprises ne se remplissent pas. Ils viennent aussi d’une consommation en berne parce que les revenus des ménages n’augmentent pas, ce qui limite la demande adressée aux entreprises.
Ce climat morose est aussi généré, comme on vient de le dire, par une incertitude importante sur le plan national comme international. La politique commerciale de Donald Trump sur les droits de douane, les conflits et menaces de conflits armés qui se multiplient comme le choix d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale sans reconnaître les résultats créent de l’incertitude. L’argumentaire invoqué par la droite pour rejeter la taxe Zucman est fallacieux.
Les opposants à cet impôt expliquent qu’il affaiblirait les entreprises françaises…
C’est faux. Car la taxe Zucman ne pèse pas sur les entreprises en tant que telles, mais sur le patrimoine d’une personne physique. C’est tout le principe de cette taxe : puisque les milliardaires ne paient pas leur juste part de l’impôt sur le revenu, une taxation sur leur patrimoine pourrait les contraindre à contribuer à hauteur de ce qu’ils devraient réellement faire. Ce n’est pas une surtaxe, c’est un mécanisme fiscal qui amènerait les milliardaires à contribuer dans les mêmes proportions que les autres classes sociales. La taxe Zucman n’a rien de confiscatoire.
Par ailleurs, penser que cette taxe pénaliserait le capital productif est faux : elle met à contribution les personnes physiques qui ont un patrimoine supérieur à 100 millions d’euros, un patrimoine détenu massivement sous la forme de titres. Cela concerne 1 800 personnes, rappelons-le. L’économiste Olivier Blanchard (ancien économiste en chef du FMI et professeur à l’école d’économie de Paris, N.D.L.R.), qui ne peut être soupçonné de prôner un matraquage fiscal, affirme que les contribuables pourraient s’acquitter de cette taxe en espèces. Ou, si leur patrimoine est insuffisamment « liquide », en vendant une participation dans leurs sociétés pour un montant équivalent à l’impôt qu’ils doivent régler, éventuellement sans droit de vote.
Dans ce dernier cas, l’État deviendrait un investisseur passif, ce qui ne modifierait pas la composition des équipes dirigeantes au sein des entreprises. La crainte de certains entrepreneurs de perdre le pouvoir sur leur entreprise est donc très contestable.
Comment expliquer l’obstination des forces politiques libérales à ne pas accepter cet impôt ?
La logique économique de la droite et de l’extrême droite est clairement néolibérale. Et selon cette logique, il ne faut surtout pas s’en prendre aux plus riches au nom de cette « théorie du ruissellement » qui n’a jamais eu aucune validité empirique. Pour ce faire, ils organisent la paupérisation de l’État en baissant sciemment des recettes publiques.
Ce n’est pas une surtaxe, c’est un mécanisme fiscal qui amènerait les milliardaires à contribuer dans les mêmes proportions que les autres classes sociales.
Ce qu’a consciencieusement fait Emmanuel Macron…
Tout à fait. Depuis son arrivée au pouvoir en 2017, ce ne sont pas moins d’une soixantaine de milliards qui ont été accordés sous forme de cadeaux fiscaux. Ce sont autant de recettes publiques qui manquent aujourd’hui. Cette politique mine notre système de protection sociale et nos services publics. Elle crée du mécontentement dans la population, dont les néolibéraux se servent pour organiser la privatisation progressive des services publics, de l’enseignement supérieur, de la santé ou faire accepter l’idée d’une nécessaire ouverture de notre système de retraites à la capitalisation…
Le logiciel économique de l’ensemble des droites (macronistes compris, donc) est le néolibéralisme, système où l’État se met au service du « marché » en favorisant les intérêts des grandes entreprises privées, qui sont les relais économiques de ces mouvements politiques de droite (et même aujourd’hui d’extrême droite).
Le PS a déposé un amendement de repli qui se veut, selon les socialistes, comme une alternative à la taxe Zucman, surnommée « Zucman light ». Cet amendement crée un impôt plancher de 3 % sur les fortunes de plus de 10 millions d’euros mais exclut les sociétés où une même famille possède à la fois 51 % des titres et 51 % des droits de vote de l’entreprise et les actions d’entreprises innovantes. Est-ce, selon vous, une alternative intéressante ?
Le rendement escompté diffère entre ces deux propositions : entre 15 et 20 milliards d’euros pour la taxe Zucman ; entre 5 et 7 milliards pour la version « light » proposée par le PS, soit un rendement divisé par 3 par rapport à la proposition initiale de Zucman. La version proposée par les socialistes introduit des exonérations en excluant les biens professionnels. La recherche académique a très bien documenté le fait que les exonérations favorisent l’optimisation, ce qui va immanquablement réduire l’assiette et le rendement de cet impôt.
Par ailleurs, ceux qui détiennent plus de 50 % du capital d’une société seraient exclus de cet impôt. Vincent Bolloré, qui détient 70 % du groupe Bolloré, ne serait donc pas concerné par cette taxe Zucman « light ». Bernard Arnault et sa famille possèdent quant à eux 48 % du groupe LVMH. Ce ne serait pas difficile pour eux d’atteindre les 50 % et d’être également exonérés de cette taxe.
Depuis le début des débats budgétaires, le bloc macroniste, la droite et l’extrême droite s’allient pour refuser les hausses d’impôts pour les plus riches concernant la partie recettes du projet de loi de finances. Comment expliquez-vous cette fusion politique ?
Toutes les forces libérales s’opposent systématiquement aux taxes sur les plus riches. Et que l’extrême droite s’allie avec la droite et le bloc macroniste n’a rien de vraiment étonnant. Elle est tout simplement en train de revenir au logiciel économique très libéral de Jean-Marie Le Pen. Marine Le Pen et Jordan Bardella veulent donner des gages aux entreprises et, en particulier, aux plus grandes d’entre elles ainsi qu’aux milliardaires, afin qu’ils ne s’opposent pas à leur possible accession au pouvoir.
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