29 novembre : en France, une unité nationale inédite mais tardive de solidarité avec la Palestine
Ce samedi, une manifestation nationale pour la Palestine rassemblera à Paris plus de 85 organisations : associations, syndicats et l’ensemble des partis de gauche. Une configuration inédite depuis le 7 octobre 2023, la plupart des structures politiques restant jusqu’ici en retrait ou divisées lors des mobilisations.

© Maxime Sirvins
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Dissolution d’Urgence Palestine : face aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, la France botte en touche Rester mobilisé·es en solidarité avec le peuple palestinien « À Paris, les manifs pour la Palestine doivent être à la hauteur des autres capitales européennes »Des dizaines – voire des centaines – de milliers de gens à La Haye ou à Londres en soutien à la Palestine. Mais, à Paris, des cortèges plus éparses, moins massifs. C’est de ce constat que l’association France Palestine Solidarité (AFPS) (1) est partie pour organiser un appel à un grand rassemblement, espéré d’ampleur, ce samedi 29 novembre à Paris. Celui-ci a vite été rejoint par Urgence Palestine, des organisations féministes, antiracistes, écologistes. Mais aussi et surtout par les syndicats et les partis de gauche, au complet.
Sociétaire de la SCIC Politis.
Le choix de cette date ne doit rien au hasard, le 29 novembre marque la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien. « Cette journée symbolique agrège plusieurs personnes, ce qui permet aussi ce cadre unitaire. Au niveau syndical, nous avons un appel intersyndical, mais il y a également les organisations de jeunesse qui vont nous rejoindre, la CNT via la campagne BDS France, la Confédération paysanne aussi. L’arc est très large », explique Linda Sehili, de l’union syndicale Solidaires.
En tout, ce sont plus de 85 organisations qui appellent à la mobilisation ce samedi. Une unité inédite, tardive depuis le 7 octobre 2023, révélatrice des tensions qui ont paralysé les organisations politiques face à l’ampleur du désastre à Gaza. En effet, depuis deux ans, la solidarité avec la Palestine n’a jamais cessé de mobiliser dans l’Hexagone. Mais c’est seulement maintenant que toute la gauche politique appelle ensemble à descendre dans la rue.
Des gens qui étaient jusqu’à présent timides, ou qui avaient à cœur de jouer les équilibristes (…) ont cette fois rejoint une mobilisation dont le mot d’ordre est clair.
Shadi
« Des gens qui étaient jusqu’à présent timides, ou qui avaient à cœur de jouer les équilibristes et d’essayer de trouver toujours une forme de symétrie entre le colon et le colonisé, entre l’oppresseur et l’opprimé, ont cette fois rejoint une mobilisation dont le mot d’ordre est clair : l’autodétermination du peuple palestinien » se félicite Shadi, militant à Urgence Palestine.
Il poursuit, s’attaquant notamment au Parti socialiste (PS), bien silencieux, selon lui, sur le sujet palestinen depuis le 7-Octobre : « À chaque fois qu’ils venaient pour la Palestine, c’était pour ramener cette histoire des otages. Qui servait juste à essayer de créer un point d’équilibre et dire « on est mesuré, on exprime de l’empathie envers les deux parties et on condamne des méfaits, des mauvais agissements des deux parties”. »
Invisibilisation et rapport de force
En effet, depuis 2 ans, beaucoup de personnalités politiques de gauche – notamment du parti socialiste ou du parti communiste – n’ont que très peu, voire pas du tout, participé aux mobilisations en soutien à la Palestine organisées hebdomadairement dans le pays. Le témoignage d’un débat politico-médiatique particulièrement délétère sur le sujet, qui fait du soutien à la Palestine de l’antisémitisme et qui invisibilise en permanence les victimes Palestiniennes. Dans deux enquêtes distinctes, Politis et Arrêt sur images ont démontré l’absence quasi-totale des victimes gazaouies dans les grands journaux télévisés.
Une manière politique, aussi, de se différencier de la France insoumise qui, dès la fin 2023, a fait du sujet palestinien un de ses sujets politiques majeurs. Durant la campagne des élections européennes, la thématique avait d’ailleurs fait l’objet de passes d’armes violentes entre Raphaël Glucksmann, tête de liste du PS, et les Insoumis, notamment Rima Hassan.
Si l’unité devient possible aujourd’hui, c’est que le rapport de force moral a basculé. Les rapports successifs de l’ONU, le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Benyamin Netanyahou, le premier ministre israélien, le siège total de la bande de Gaza, la famine, les bombardements d’hôpitaux et l’offensive sur Rafah ont finalement poussé les organisations à assumer publiquement une position plus ferme.
C’est très bien si tout le monde a appelé à participer à cette journée, on a besoin de monde.
L. Sehili
Cette fois, ne pas appeler à manifester aurait été politiquement et moralement intenable. « C’est très bien si tout le monde a appelé à participer à cette journée, on a besoin de monde. La manifestation sera organisée en trois cortèges : un premier associatif, un intersyndical et un cortège des partis politiques, chacun.e a sa place », se félicite Linda Sehili.
Pression de la base
Surtout, la pression vient aussi de la base : sur les campus, dans les syndicats locaux, dans les associations, la solidarité s’organise depuis deux ans sans attendre les appareils. À Roissy, plusieurs syndicats de l’aéroport se sont mobilisés à plusieurs reprises pour refuser de participer à décharger des avions qui pourraient contenir des armes à destination d’Israël.
« Nous n’avons pas la force des appareils, mais on a de plus en plus la force du peuple, et c’est comme ça qu’on va avancer », souligne Shadi. Son organisation, Urgence Palestine, est un des fers de lance en France de la mobilisation régulière, sans faille, pour soutenir le peuple palestinien et dénoncer le génocide en cours. Et aussi de la visibilisation des discours de Palestiniens et Palestiniennes, souvent totalement absents au sein d’organisations plus « institutionnelles ».
D’ailleurs, le militant ne se préoccupe finalement guère des signataires de l’appel : « Qu’il y ait des gens qui se réveillent au bout de deux ans pour mettre leur signature sur une affiche, tant mieux, tant pis, ce n’est pas notre préoccupation. Ce qui nous importe, c’est qu’il y ait une mobilisation populaire très forte sur la Palestine, à l’heure où les massacres continuent, où la nourriture n’est toujours pas entrée dans Gaza, où les gens meurent par faute de soin, et où Israël est encore en train d’avancer son projet d’annexion de la Cisjordanie. »
Cette pelletée de signataires suffira-t-elle à faire de ce 29 novembre une marée rouge, verte, blanche et noire dans les rues de la capitale ? « Je suis malheureusement sceptique mais je le souhaite », souffle Shadi. Pour espérer mobiliser très largement, des trajets en car sont organisés dans tout l’Hexagone, majoritairement par l’AFPS, pour permettre aux gens qui le souhaitent de participer au cortège qui défilera entre République et Nation à partir de 14 h. Des mobilisations pour la Palestine se tiendront également le même jour en Martinique et en Guyane. En Guadeloupe, ce sera le 20 décembre.
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