Que faire de Netanyahou ?
La décision des juges de la Cour pénale internationale (CPI) de délivrer un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou agit comme un révélateur pour toutes les capitales occidentales. Et dans l’attitude à adopter, la France semble avoir choisi le mauvais camp.
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La décision des juges de la Cour pénale internationale (CPI) de délivrer un mandat d’arrêt contre
Benyamin Netanyahou ne sauvera pas une seule vie de Palestinien, mais elle agit comme un révélateur pour toutes les capitales occidentales. Que faire de ce premier ministre israélien accusé, comme Vladimir Poutine et l’ancien dictateur soudanais Omar El-Béchir, de crime de guerre et de crime contre l’humanité ? À Washington, la réponse n’a pas tardé : « Scandaleux ! », s’est-on aussitôt écrié à la Maison Blanche. Plutôt que de regarder en face les crimes de Netanyahou, il a semblé urgent de s’attaquer à la juridiction elle-même. « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt », disait Confucius. Sauf que Biden (Trump n’aurait pas agi différemment) n’est pas idiot ; il défend jalousement les privilèges d’un camp dont les États-Unis revendiquent toujours le leadership.
Pour la première fois, c’est le leader d’un pays placé du côté du « manche occidental » qui est visé.
Car voilà bien l’immense intérêt de la décision de la cour : pour la première fois, c’est le leader d’un pays placé du côté du « manche occidental » qui est visé. Ce sont des gouvernements généralement drapés dans leurs vertus démocratiques qui vont devoir décider de l’attitude à adopter. Tous ne peuvent pas se permettre l’outrecuidance états-unienne. Ne serait-ce que parce que les États-Unis et Israël n’ont pas ratifié le statut de Rome de 1998, le traité qui donnait compétence à la CPI pour agir quand les crimes sont commis dans un pays signataire (1). Mais 124 autres, dont la France et l’Union européenne en tant que telle, ainsi que le Royaume-Uni, l’ont ratifié. Autant de territoires où Netanyahou ne peut plus, en principe, mettre les pieds sans prendre le risque d’être arrêté.
En l’occurrence, c’est le cas, puisque le pays où sont commis les crimes est la Palestine, qui a ratifié le statut de Rome.
D’où l’embarras de Paris où on ne manque jamais d’inviter Netanyahou, y compris, en 2017, aux commémorations de la rafle du Vel d’Hiv. Une initiative qui conférait au premier ministre israélien un statut quasi officiel de représentant du judaïsme. Ce qui a sans doute beaucoup fait pour l’antisémitisme. Mais, mardi devant l’Assemblée, Michel Barnier avait clairement indiqué que la France « appliquera[it] rigoureusement […] les obligations qui lui incombent » en termes de droit international. Un propos aussitôt contredit, le lendemain, par un communiqué du Quai d’Orsay qui suinte l’hypocrisie, invoquant « l’immunité » du premier ministre israélien, et se référant à « l’amitié historique qui lie la France à Israël, deux démocraties [sic] attachées à l’État de droit ».
Démocratie ? Jugeons-en ! Dernière preuve en date, le gouvernement israélien vient de couper les vivres au seul grand journal d’opposition, Haaretz, qui ose encore critiquer Netanyahou et ses guerres. Après l’interdiction faite à la presse étrangère de travailler à Gaza, les attaques contre les ONG, la fermeture annoncée des bureaux de l’Unrwa, après la loi de 2018 définissant Israël comme « l’État nation du peuple juif », véritable loi d’apartheid gommant toute référence à la démocratie et à la communauté arabe, et la tentative pour l’instant en suspens de réforme judiciaire, c’est peu dire qu’Israël est devenu un régime illibéral.
Il ne déplaît pas au premier ministre israélien d’être un paria. La victimisation est son éternel fonds de commerce.
Netanyahou penche désormais du côté de Poutine et de Viktor Orbán, qui s’est empressé de l’inviter à Budapest pour défier l’Union européenne. Au-delà du conflit israélo-palestinien, c’est une guerre planétaire qui se mène dont l’enjeu est le droit. Voir encore le score du fasciste roumain Georgescu (au doux prénom de Calin), dont Netanyahou se fera vite un ami. Il ne déplaît pas au premier ministre israélien d’être un paria. La victimisation est son éternel fonds de commerce. Et l’indécence sans limite. Il n’a pas craint au soir de la décision de la CPI de se comparer au capitaine Dreyfus, mais un capitaine Dreyfus qui aurait beaucoup de sang sur les mains. Ce qui lui importe est de bâillonner en interne toutes les oppositions, et d’entraîner son pays dans une terrible fuite en avant. Force est de constater que, pour l’instant, ça marche.
Rien de tout ça ne gêne la France qui, dans cette guerre au droit, semble avoir choisi le mauvais camp. Par ailleurs, ce n’est que du bout des lèvres et à de multiples conditions que Netanyahou a concédé mardi un cessez-le-feu au Liban, aussi précaire que provisoire, avec pour objectif avoué de pouvoir concentrer ses coups sur Gaza. De quoi alimenter encore le dossier de la CPI. La cohérence et la démocratie voudraient qu’ayant admis le bien-fondé du mandat d’arrêt, la France et les Européens mettent tout en œuvre pour faire cesser le crime qui le motive. On en est loin.
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