« À la Philharmonie de Paris, le public nous a littéralement lynchés »
Jeudi 6 novembre, le collectif Palestine Action France a perturbé la tenue du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris. Plusieurs militants se sont fait violemment frapper par des spectateurs. Pour la première fois, une participante prend la parole pour expliquer sa version des faits.

© Maxime Sirvins
Les images font le tour des plateaux télés et des réseaux sociaux depuis des jours. On y voit des militants pro-palestiniens brandir des torches en plein concert de l’orchestre philharmonique d’Israël, dans la grande salle de la Philharmonie de Paris. Puis, très rapidement, se faire passer violemment à tabac par des spectateurs.
Depuis cette action, les réactions ont fusé, remontant jusqu’au sommet de l’État. Les ministres de l’Intérieur et de la Culture ont largement condamné cette action que « rien ne justifie ». L’extrême droite, via ses médias, en, a également fait ses choux gras. Rien, ou presque, en revanche, n’a été dit sur les violences subies par les militants non-violents.
Pour la première fois depuis jeudi 6 novembre, l’une d’entre-elles a décidé de sortir du silence pour expliquer à Politis ses motivations et sa version des faits. Fatiguée après 70 heures de détention et placée sous contrôle judiciaire, M. se félicite tout de même d’une « action de boycott actif réussie » et appelle la justice à poursuivre les personnes qui l’ont frappée ainsi que son camarade.
Jeudi 6 novembre, vous avez participé à une action à la Philharmonie de Paris durant le concert de l’orchestre philharmonique d’Israël. Pourquoi avez-vous ciblé ce concert ?
Cette action a été organisée au concert de l’Israel Philharmonic Orchestra car c’est un outil de propagande et d’artwashing de premier plan pour l’État colonial israélien. D’ailleurs, l’orchestre se revendique lui-même comme le premier « ambassadeur culturel » d’Israël, il est financé par Israël [à hauteur de 12,7 %, N.D.L.R.], et est composé de nombreux musiciens qui sont passés par l’armée d’occupation et qui assument, sur les réseaux sociaux, soutenir le génocide en cours. Donc il nous paraissait essentiel, qu’en plein génocide, ce concert ne puisse pas se tenir.
Cette action a été organisée par des gens ordinaires, des gens qui en ont marre.
Or l’État Français, par le biais de la Philharmonie et de son directeur, Olivier Mantei, nommé par Emmanuel Macron, s’est obstiné à la tenue de ce concert. Il y a eu beaucoup d’alertes en amont, des demandes d’annulation du concert, ou, a minima, d’une recontextualisation de la situation actuelle en Palestine. Rien n’y a fait, la Philharmonie s’est entêtée. Cela traduit bien le soutien sans faille apporté par l’État Français à l’État génocidaire israélien.
Ce que ce concert traduit, c’est que la France est un allié génocidaire. Comme pour le Rwanda, ou au Soudan où la France est un des principaux vendeurs d’armes aux FSR [Forces de soutien rapide, N.D.L.R.]. Parce qu’il faut le répéter : il était tout à fait possible d’annuler ce concert. Les concerts des orchestres russes qui entretiennent des liens avec le régime du Kremlin ont pu être annulés par la Philharmonie. Donc si le concert a eu lieu, c’est grâce à une initiative conjointe de l’État colonial d’Israël et de la France.
Votre action avait-elle pour but de visibiliser la cause palestinienne ou de faire en sorte que ce concert n’ait pas lieu ?
Les deux. Notre but était, dans un premier temps, de dénoncer le soutien colonial de la France à cette organisation culturelle et à l’État colonial israélien. Et, dans un second temps, de porter l’enjeu d’un boycott actif, non-violent et collectif pour lutter pour la Palestine. On revendique d’avoir perturbé le concert et nous aurions souhaité l’annuler. On n’est pas passé loin.
Cette action a été organisée par des gens ordinaires, des gens qui en ont marre, qui ont participé à des manifestations, signé des pétitions, qui ont interpellé leur député et qui ont décidé de faire quelque chose. L’action a été organisée par environ 50 personnes, à l’extérieur comme au sein de la Philharmonie. Il n’y a pas de militant·es professionnel·les ou de gens encartés. Il y a des profs, des musicien·nes, des chômeurs, des étudiant·es, des ingénieurs, des avocat·es. On voulait montrer que c’était possible.
Justement, vous étiez directement dans la salle et avez été blessée au cours de cette action. Que s’est-il passé ?
La première chose que j’ai observée, c’est que visiblement, le public était très content d’être là. Pour moi, la présence du public revenait à prêter allégeance à un État génocidaire. Puis c’est allé très vite. J’ai vu mon camarade se faire tabasser pendant trois minutes, sous les applaudissements des témoins qui criaient « Achevez-le ! ». J’ai eu très peur qu’il soit projeté derrière la rambarde. Cela traduit un véritable ensauvagement du sionisme en France. Toutefois, il faut aussi souligner que des gens ont été solidaires avec nous. Ensuite, je ne me souviens pas de tout car j’ai perdu connaissance assez rapidement après avoir été frappée à la tête et projetée contre le sol. Je me souviens simplement avoir été insultée, qu’on m’a craché dessus et que c’était très violent.
Vous attendiez-vous à une telle réaction de certains spectateurs ?
On avait anticipé la possibilité de se faire chahuter mais absolument pas à ce point. Notre action était non-violente : il s’agissait de dire des slogans et de sortir des tracts. On le voit bien d’ailleurs sur les vidéos. Même quand mon camarade se fait frapper, son seul enjeu c’est que sa torche – et non un fumigène – ne tombe pas, pour éviter de blesser des spectateurs ou de brûler du mobilier. Le public nous a littéralement lynché·es. Cette sauvagerie n’a rien d’anodin et ce niveau de violence ne peut que illustrer le racisme des sionistes et celui, en particulier, qui vise les populations arabes.
Nous avons déposé plainte en notre nom pour violences volontaires. Plusieurs personnes qui ont participé à ces violences sont identifiables et certaines s’en sont même félicitées sur les réseaux sociaux. On a également déposé plainte pour violation du secret de l’enquête. En effet, très rapidement, plusieurs informations sur nos identités – nos prénoms, nos initiales, nos âges, notre nationalité – ont été dévoilées dans les médias, notamment du groupe Bolloré.
Cela démontre bien tout ce que la France est capable de mobiliser pour entraver la mobilisation contre un génocide.
Vous avez été placée en garde à vue le soir-même. Comment se sont déroulés les jours qui ont suivi ?
À la sortie de la salle, la police est arrivée et procédé à un contrôle d’identité. On entendait des commentaires insultants du type : « Bande de guignols de Gaza. Vous allez voir au commissariat. » On a été emmenés sur le parvis de la Philharmonie, encerclés par une centaine de CRS. Un camarade avait le crâne ensanglanté et des ecchymoses partout. La police lui a refusé les soins qu’il réclamait. Elle lui a dit d’arrêter de « faire la victime, parce que là, c’était le début de son cauchemar ».
Arrivée au commissariat, on a été traités comme des sous-hommes dans le commissariat du XIXe arrondissement avec de nombreux commentaires racistes, des officiers de police judiciaire extrêmement violents. On a demandé à voir des médecins. Surtout pour notre camarade avec le crâne ensanglanté et pour moi, qui avait perdu connaissance au cours de l’action et alors que j’avais des nausées, des vomissements ainsi qu’un important œdème sur la tête. Le premier médecin que j’ai vu a jugé que mon état ne nécessitait pas d’examen neurologique. Le second, le lendemain, a trouvé mon état inquiétant, ce qui a été confirmé à l’AP-HP où un autre médecin a ordonné que l’on me fasse passer un scanner. J’ai ensuite été hospitalisée 10 heures et 2 jours d’ITT m’ont été prescrits. Je ne tenais pas debout.
J’ai été placée dans une cellule éclairée 24 heures sur 24, sans matelas. Les policiers m’ont insultée. Il faut vraiment s’intéresser à ce qu’il se passe dans les espaces de privation de libertés, c’est absolument indigne et cela interroge sur ce qu’on est en tant que société.
Puis, un juge d’instruction a été nommé. Quelle démesure pour des militants non-violents qui protestent contre le meurtre d’enfants et de femmes ! Ensuite, on a été placés sous contrôle judiciaire : je n’ai pas le droit de paraître aux abords de salles de spectacle dans Paris, ni de rentrer en contact avec les autres personnes mises en examen. Je dois pointer toutes les semaines au commissariat, et je n’ai pas le droit de paraître en manifestation. C’est une atteinte grave à nos libertés fondamentales. C’est une manière de nous marginaliser. Cela démontre bien tout ce que la France est capable de mobiliser pour entraver la mobilisation contre un génocide.
Vous attendiez-vous à un tel niveau de répression ?
Notre action se voulait radicale et non-violente, donc on s’attendait à ce qu’elle ne suscite pas l’unanimité, bien sûr. Mais clairement pas à un tel niveau de répression et un tel déchaînement de violences. Depuis le 7 octobre 2023, sous couvert de criminalisation du soutien à la Palestine, on assiste à une offensive générale contre les libertés publiques qui va à l’encontre de tous les principes de notre état de droit. La circulaire Dupond-Moretti du 10 octobre 2023 a été le premier élément institutionnel de la répression de la solidarité avec la Palestine, cela situait déjà l’État français contre les mobilisations sociales, qu’elles soient propalestiniennes ou antigénocide.
Le retentissement médiatique a été important, notamment de la part des médias Bolloré qui ont très vite instrumentalisé votre action. Comment réagissez-vous à cela ?
Il y a un acharnement extrêmement violent de l’extrême droite. Nos noms ont fuité dans les médias Bolloré et sur les réseaux sociaux. Depuis, je vis dans la peur permanente que mon adresse et mon identité complète soit dévoilée. Il y a eu une importante désinformation avec des personnes qui nous accusent d’avoir voulu mettre le feu à la salle, ce qui est complètement faux. C’est nous qui avons subi un lynchage filmé. Des personnes qui revendiquent la violence à notre égard et qui, à ce jour, ne sont toujours pas poursuivies. Tout cela interroge sur l’impartialité de la justice et de la police dans notre pays, alors que nous avons seulement lutter contre un génocide en cours, de manière non violente.
Vous avez porté plainte pour violence volontaire. Qu’attendez-vous du parquet désormais ?
On veut que les personnes qui nous ont lynchés soient désormais jugées. Elles nous ont tabassés, craché dessus. Elles ont été filmées et elles ont même revendiqué leurs actes sur les réseaux sociaux. Combien de preuves faut-il pour qu’elles soient jugées ? Jusqu’à quel niveau d’inaction les institutions françaises veulent-elles se rendre complices et coupables ? Il faut que ces personnes répondent de leurs actes devant la justice.
Et, de manière plus large, nous demandons à ce que l’État français s’intéresse aux milices sionistes organisées à Paris et en France. Lors d’un rassemblement en notre soutien devant le commissariat où nous étions détenus, une milice sioniste est venue en découdre, criant et jubilant « on a rasé Gaza », ou encore « la France aux Français ».
Le 30 novembre, il y a de nouveau un concert de Lahav Shani, le chef d’orchestre de l’orchestre national israélien à la Philharmonie. Est-ce qu’une action est d’ores et déjà envisagée ?
On appelle à l’annulation de ce concert. Notre position est la même que pour le concert du 6 novembre : il faut se rendre compte de la solidarité de la France avec l’État colonial qui permet à cette messe génocidaire de se tenir. Le 6 novembre, ils ont joué et chanté l’hymne d’un pays qui a méthodiquement éradiqué 3 millions d’années de vie humaine de la surface de la Terre – The Lancet a mentionné ce chiffre dans une étude. Comment est-il possible que la France, signataire de nombreux textes internationaux, puisse tenir de telles positions ?
Ce concert a été programmé en plein génocide, en février 2024. Des salarié·es, des associations, des collectifs, des citoyens ordinaires abonnés à la Philharmonie ont alerté. Cette institution publique est financée par nos impôts. Jusqu’à quand Olivier Mantéi va-t-il s’entêter ? On demande sa démission : ce type d’événement met en danger l’intégrité de notre démocratie.
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