« Ce n’est pas le ‘grand soir’, mais nous voulons changer la vie des gens »
La députée Sandrine Runel défend la ligne des socialistes sur le budget de la Sécu, affirme vouloir continuer de négocier avec le gouvernement et attaque les « postures » des insoumis.

© Assemblée nationale
Dans le même dossier…
Budget : le cadeau d’un milliard d’euros du gouvernement au patronat Pourquoi l’examen budgétaire est déjà terminé Sécurité sociale : le musée des horreurs du gouvernementLe compromis, jusqu’au bout. L’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale arrive en séance à l’Assemblée. La députée socialiste Sandrine Runel, chargée de négocier avec le gouvernement sur ce budget, défend la position de son parti durant la séquence. Selon elle, le Parti socialiste (PS) doit assumer vouloir discuter avec le gouvernement pour tenter de trouver des compromis à l’Assemblée nationale. Malgré l’échec de l’adoption de la taxe Zucman, les roses restent sur leur ligne.
L’examen du volet recettes du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en commission des Affaires sociales s’est achevé. Il n’a pas été adopté. Quel bilan tirez-vous de cette première phase de débat ?
Sandrine Runel : Nous avons obtenu des majorités sur certaines recettes supplémentaires qui n’étaient pas prévues dans la première mouture du budget de la Sécurité sociale. Nous avons notamment voté contre le gel du barème de la CSG et nous avons voté en faveur d’une hausse de la CSG sur le patrimoine. C’est une victoire. Nous avons également réussi à supprimer l’année blanche, à refuser la taxation des tickets-restaurants ainsi que des chèques-vacances, et nous avons adopté l’article sur la suspension de la réforme des retraites. Nous savons donc qu’il existe des majorités pour voter en séance sur des mesures concrètes et assez emblématiques.
Sébastien Lecornu a promis vendredi qu’il soutiendrait la réindexation des pensions de retraite et des minima sociaux ainsi que la hausse de la CSG sur le patrimoine. Que pensez-vous de ces annonces ?
Nous sommes satisfaits de ces prises de position. Mais la hausse de la CSG sur le patrimoine, c’est notre proposition. La commission a voté notre amendement. Cette mesure pourrait rapporter 2,6 milliards, ce sont des recettes que nous pensons justes. Concernant la suppression de l’année blanche, nous l’avons défendue et elle a été également adoptée en commission. En termes de pouvoir d’achat et de qualité de vie, cette mesure est très importante, elle change concrètement le quotidien. Les retraités qui touchent entre 1 500 et 2 000 euros, par exemple, vont voir leurs pensions augmenter. Ce sont des victoires pour les gens.
Nous ferons tout pour éviter un certain nombre de mesures d’austérité aux Français.
Comment abordez-vous les débats qui arrivent en séance ?
Avec beaucoup de détermination. Nous allons peut-être obtenir des victoires sur les niches sociales ou les allègements généraux. Nous ne voulons plus maintenir des exonérations de cotisations sociales au-dessus de 2,4 Smic parce que ça n’a aucune plus-value sur l’accès ou le retour à l’emploi. Si le gouvernement renonce au doublement des franchises médicales et tient son engagement sur la suspension de la réforme des retraites, si nous obtenons la suppression de l’année blanche et la non-fiscalisation des indemnités journalières pour les affections longue durée, nous atterrirons sur une copie bien plus satisfaisante.
Même si, sur certains points, les débats peuvent être difficiles, et notamment sur l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (Ondam). Le gouvernement voulait initialement aller jusqu’à 1,6 % par rapport à 2025 alors que nous sommes plutôt favorables à une augmentation jusqu’à 3 ou 4 %. Nous ferons tout pour éviter un certain nombre de mesures d’austérité aux Français.
Le PS s’est engagé sur le chemin de la négociation. Mais vous avez refusé d’entrer dans des discussions avec le gouvernement aujourd’hui. Quelle est la ligne ?
Nous ne déjeunons pas avec le Rassemblement national (RN). Je ne me mets pas à table avec l’extrême droite. Mais nous sommes ouverts à la discussion et au compromis. Et nous l’avons montré depuis le début de l’examen au Parlement. Nous savons que nous n’aurons pas tout ce que nous voulons : nous ne sommes ni au gouvernement, ni majoritaires à l’Assemblée nationale. Donc nous avançons petit pas par petit pas. Ce n’est pas le « grand soir », mais nous voulons changer la vie des gens.
La taxe Zucman, défendue par toute la gauche, n’a pas été votée en séance à l’Assemblée nationale. Est-ce que cela ne vous oblige pas à censurer ?
Nous avons proposé la taxe Zucman, ça n’a pas marché. Nous avons proposé cette taxe Zucman « light », ça n’a pas marché non plus. Nous avons proposé le retour d’un impôt sur les grandes fortunes immatérielles, ça n’a pas marché. En séance, le député Modem Jean-Paul Matteï a déposé un amendement que nous avons sous-amendé. Notre proposition a été acceptée. Et cette mesure sur la « fortune improductive » pourrait rapporter plus que le précédent impôt sur la fortune immobilière (IFI). Le travail parlementaire paye. Ce n’est pas entièrement satisfaisant, mais nous sommes arrivés à chercher l’argent là où il est.
De manière plus générale, nous avons réussi à obtenir des victoires sur le pouvoir d’achat et nous avons évité, pour le moment, que soient votées des mesures ciblant la santé des Français. Nous avons obtenu la réindexation du barème de l’impôt sur le revenu, la baisse de l’impôt sur les PME, le rétablissement de l’exit tax ou la défiscalisation des pensions alimentaires. Et nous obtiendrons aussi la suspension de la réforme des retraites. Je le dis encore une fois : ce n’est pas notre budget et ça ne le sera pas. Mais notre ligne est claire : nous gagnons et nous voulons gagner des victoires pour les Français. À la fin, nous regarderons la copie et nous prendrons une décision. Aujourd’hui, il est beaucoup trop tôt pour nous positionner.
Le président du groupe Modem, Marc Fesneau, estime que le Parlement n’est pas « mûr » pour fonctionner sans 49.3. Ne craignez-vous pas une volte-face de Sébastien Lecornu ?
Le premier ministre s’est engagé devant la représentation nationale à ne pas utiliser le 49.3. S’il revient sur cet engagement, ce sera son problème. Mais il est vrai aussi que ce renoncement oblige tous les parlementaires à se responsabiliser. Nous ne pouvons plus nous cacher : nous devrons forcément voter. À la fin des débats parlementaires, personne ne sera content. Ce ne sera pas la copie des socialistes. Ce ne sera pas non plus la copie des macronistes. La suspension de la réforme des retraites, les exonérations de cotisations sociales, la suppression de l’année blanche et la hausse de la CSG sur le patrimoine sont très difficiles à avaler pour eux. Ce ne sera le budget de personne. Et il faudra l’accepter.
À la fin des débats parlementaires, personne ne sera content.
Que répondez-vous aux insoumis qui vous accusent d’être des « supplétifs » du macronisme en négociant avec le gouvernement ?
Il est incompréhensible de voter contre la suspension de la réforme des retraites. Ce que les insoumis ont fait en commission des Affaires sociales. Avec les syndicats et les travailleurs, nous nous battons pour l’abrogation de cette réforme particulièrement injuste et qui est passée avec une brutalité sociale inédite. La suspension, ce n’est pas l’abrogation, et nous le savons. Mais jusqu’au 1er janvier 2028, l’âge de départ est bloqué à 62 ans et 9 mois et la durée d’assurance à 170 trimestres, c’est-à-dire que des Français vont bénéficier de cette suspension. En 2026, des gens vont gagner au moins trois mois. C’est une victoire, ce n’est pas rien. Le nouvel impôt sur la fortune rapporterait près de 3 milliards d’euros par an. C’est une recette supplémentaire, ce n’est pas rien non plus.
Il est très facile de se planquer et de critiquer que d’aller discuter avec le gouvernement, de chercher des compromis et d’aller se battre dans cette Assemblée. Personne n’a de majorité, personne ne va y arriver tout seul. J’ai choisi de me battre pour le pouvoir d’achat des Français, pour qu’ils puissent se soigner, pour qu’ils puissent vivre moins mal qu’avant. Les insoumis peuvent rester dans leurs postures, ils ne changent pas la vie des gens.
Pour aller plus loin…
Budget : le cadeau d’un milliard d’euros du gouvernement au patronat
Sécurité sociale : le musée des horreurs du gouvernement
Zucman light : « Bolloré ou Arnault pourraient très bien être exonérés de cet impôt »