Faut-il s’armer face à la menace russe ? Les réponses de la gauche

Politis a demandé à quatre partis de gauche – LFI, PS, PCF et Écologistes – l’attitude à adopter face à la Russie de Vladimir Poutine.

Politis  • 19 novembre 2025 abonné·es
Faut-il s’armer face à la menace russe ? Les réponses de la gauche
© FlyD / Unsplash

« Face à Poutine, il faut armer nos démocraties »

Par Chloé Ridel, députée européenne PS

(Photo : Union européenne.)

Il faut s’armer face à la menace russe, et de plusieurs manières. La Russie de Poutine est une puissance autoritaire et impérialiste : elle veut, par la force, soumettre les États anciennement colonisés au sein de l’URSS. Elle est en guerre contre leur droit à la liberté et à l’indépendance, mais aussi contre l’Europe et son modèle démocratique qui exercent un pouvoir d’attraction sur l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie ou la Biélorussie. Face à un tyran comme Poutine, il faut de la dissuasion militaire. Pendant vingt ans, nous avons laissé la Russie avancer en Tchétchénie, en Géorgie, en Ukraine, en Syrie… sans réagir.

Ce dont nous manquons, c’est d’une coordination militaire européenne et d’industries de défense communes.

Poutine en a toujours profité pour faire la guerre, et encore la guerre ; la survie de son régime en dépend. Alors oui, il faut s’armer pour dissuader : et contrairement à ce que l’on entend souvent, les pays européens en sont parfaitement capables, sans dépendre pour cela des États-Unis. Si l’on additionne les dépenses militaires annuelles des 27, plus le Royaume-Uni, on atteint la somme de 300 milliards d’euros. C’est plus que la Chine. Ce dont nous manquons, c’est d’une coordination militaire européenne et d’industries de défense communes.

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C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu, au Parlement européen, le programme « Edip » qui, doté d’1,5 milliard d’euros jusqu’en 2027, financera des projets communs en matière d’armement, dont les composants seront « Made in Europe » à au moins 65 %. Nous devons aussi fournir à l’Ukraine les moyens militaires dont elle a besoin, car elle est aujourd’hui le premier front de résistance à l’armée russe.

Face à Poutine, il faut aussi armer nos démocraties. La Russie fait de la déstabilisation via les réseaux sociaux une arme de guerre. Ce sont les fameuses « fermes à bots » russes, où des gens sont payés pour créer des faux comptes et inonder l’espace numérique de désinformation ou de contenus qui enveniment et polarisent les débats. Responsabiliser les plateformes numériques, former chacun à l’esprit critique, se battre pour conserver des médias indépendants sont des « armes » essentielles pour lutter contre l’impérialisme russe.


« Face à la guerre : pour une économie de paix »

Par David Cormand, député européen Les Écologistes

(Photo : Union européenne)

Depuis l’irruption de la question de défense dans le débat public, à la suite de l’agression russe en Ukraine, deux écueils sont à éviter. Le premier serait de nier la signification de cette attaque. Elle s’inscrit dans une nouvelle géopolitique qui voit l’idéal du multilatéralisme entrepris – de manière discutable – depuis la fin de la guerre froide être remis en question par le retour des tentations impérialistes telles que déployées par la Chine, les États-Unis de Donald Trump et, à sa mesure, la Russie. L’autre écueil serait de s’abandonner à une « économie de guerre », concept daté, univoque et comportant de nombreux points aveugles.

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Le sujet, dont la question de « l’armement » n’est qu’un des aspects, est celui de l’autonomie stratégique de l’Union européenne dans ce nouveau moment géopolitique. Il convient de ne pas confondre l’enjeu d’une véritable politique de défense avec une politique d’armement. Face au  retour des empires, il me semble nécessaire d’entreprendre une doctrine de sécurité globale à l’échelle européenne. Celle-ci articule et coordonne dans une même stratégie les différentes dimensions de notre sécurité : c’est-à-dire la sécurité militaire, bien entendu, mais aussi la sécurité climatique, sociale, alimentaire, énergétique et industrielle. Il s’agit aussi de répondre à la « géopolitique impériale » par une « géopolitique du climat » qui se décline dans un codéveloppement altermondialiste, équitable et décolonial ambitieux.

Ces efforts n’ont de sens que s’ils ne remettent pas en question ceux dont nous avons besoin pour la transition écologique et sociale.

Du point de vue militaire, la somme des dépenses en armement par les 27 pays de l’Union est d’ores et déjà supérieure à celle de la Russie. En revanche, nous avons besoin d’une défense qui soit intégrée à l’échelle des Vingt-Sept et de perfectionner nos compétences dans certains secteurs d’armement pour éviter de dépendre des États-Unis. Nous avons aussi besoin d’être plus autonomes dans nos capacités de commandement. Mais ces efforts n’ont de sens que s’ils ne remettent pas en question ceux dont nous avons besoin pour la transition écologique et sociale, ou pour la cohésion de nos territoires.


« Financer la défense pour défendre notre souveraineté »

Par Bastien Lachaud, député LFI

(Photo : Antoine Lamelle.)

La France n’est pas menacée aujourd’hui par une guerre conventionnelle avec la Russie. Puissances nucléaires, nos deux pays ne peuvent s’affronter directement sans courir au désastre. Agiter le spectre d’une invasion sert surtout à justifier une fuite en avant militariste, alignée sur les exigences de l’Otan et les orientations imposées par Washington. Pour autant, refuser l’hystérie guerrière ne signifie pas ignorer les menaces réelles qui pèsent sur notre pays. Celles-ci se déplacent vers de nouveaux champs. Dans le cyber, les campagnes de désinformation, les attaques numériques ou les manipulations d’opinion constituent aujourd’hui le cœur des stratégies de déstabilisation menées par plusieurs puissances, y compris la Russie, mais aussi d’intérêts privés, tel le mouvement Maga, par le biais de réseaux sociaux, comme X d’Elon Musk.

Les lois de programmation militaire actuelles, bricolées dans l’urgence, reflètent davantage l’agenda de l’Otan que les besoins réels de la France.

La souveraineté numérique, et non l’escalade militaire, est la véritable réponse à ces ingérences. Dans l’espace, la multiplication des démonstrations de force – qu’il s’agisse de tests antisatellites russes ou du militarisme croissant des États-Unis et de l’Inde dans leurs différentes stratégies spatiales – montre que ce domaine devient un lieu d’affrontements stratégiques. En mer, la France doit protéger ses immenses zones économiques exclusives et ses câbles sous-marins, essentiels à la vie économique et démocratique. Cela suppose d’investir dans la connaissance et la maîtrise des milieux, notamment via une flotte de drones adaptés.

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Financer la défense, oui, mais pour défendre notre souveraineté. Les lois de programmation militaire actuelles, bricolées dans l’urgence, reflètent davantage l’agenda de l’Otan que les besoins réels de la France. Il faut un nouveau Livre blanc, fondé sur une évaluation des menaces, afin de déterminer les capacités nécessaires pour y répondre sans céder à la logique du bloc contre bloc. Face à la menace russe, la véritable force de la France ne réside ni dans la surenchère ni dans la soumission, mais dans une stratégie indépendante : défense du territoire et de la population, protection de nos infrastructures critiques, reconquête de notre souveraineté technologique, diplomatie active et refus clair de toute escalade. C’est ainsi que notre pays pourra garantir sa sécurité, sa liberté et la paix en Europe.


Allô le PCF ?

Malgré une dizaine de sollicitations d’élus et de responsables communistes, nous n’avons reçu aucune réponse du PCF. Voici la position officielle du PCF que nous déduisons de nos recherches sur le site de l’organisation politique et des interventions de ses leaders.

Le PCF condamne clairement l’agression russe en Ukraine mais refuse de répondre à cette menace par une logique de surarmement. Pour le parti, l’augmentation massive des capacités militaires européennes alimente l’escalade sans garantir la sécurité. Il critique vivement l’Otan, jugée instrument de domination américaine, et s’oppose à la construction d’une défense européenne intégrée qui placerait l’UE dans une posture de bloc militaire. Le PCF dénonce la LPM 2024-2030 et ses 413 milliards, estimant que ces budgets détournent des ressources essentielles des services publics.

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Il plaide pour une défense nationale indépendante, non alignée sur l’Otan, fondée sur un contrôle public des industries de défense afin d’éviter les logiques de profit. Le parti insiste sur la nécessité de recréer un véritable lien armée-nation : pas un retour strict au service militaire obligatoire, mais un débat sur un service national permettant un contrôle démocratique accru et une meilleure représentation de la société au sein de l’armée.

Face à la menace russe, le PCF privilégie une stratégie de sécurité collective européenne et internationale : relancer la diplomatie, renforcer le rôle de l’ONU et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), engager des processus de désescalade et de désarmement, et reconstruire des cadres de coopération plutôt que multiplier les dépenses militaires. Pour lui, la paix durable passe par le droit international, la négociation et la souveraineté des peuples, plus que par l’accumulation d’armements.

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Publié dans le dossier
La menace russe divise la gauche
Temps de lecture : 9 minutes

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