« Sous couvert de féminisme, Némésis ne scande que des slogans xénophobes »
La photojournaliste Anna Margueritat examine le rôle des médias et de la gauche face à l’instrumentalisation du féminisme par l’extrême droite, alors que le collectif nationaliste Némésis pourrait être présent lors de la manifestation du 22 novembre.

© Serge D'Ignazio
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Le 22 novembre, nous ne marcherons ni avec l’extrême droite ni avec les sionistes ! 8 mars 2025 : « Le jour où le mouvement féministe a repoussé l’extrême droite »« Militante proche des terroristes ACAB (1), avec ses yeux injectés de haine et de perversité. » C’est ainsi qu’a été décrite la photojournaliste Anna Margueritat par le communicant et rédacteur en chef du média d’extrême droite, Frontières, Jordan Florentin. Signe que son travail – qui va de la couverture de manifestations fascistes à celle de procès médiatiques, comme celui de l’affaire Lola, ou celui des violeurs de Mazan, dont elle a tiré un livre, Pour que la honte change de camp (La Meute, 2025) – dérange les fascistes et ses représentantes fémonationalistes, comme Némésis.
ACAB : « All Cops Are Bastard ».
Ce collectif, qui instrumentalise la lutte pour les droits des femmes à des fins racistes a, une nouvelle fois, annoncé sa présence lors de la manifestation féministe du 22 novembre. Anna Margueritat revient sur cette présence et alerte la relative passivité des médias et de la gauche.
Le collectif Némésis a prévu d’être présent lors de la manifestation du 22 novembre. Depuis plusieurs années, il essaie de s’infiltrer dans des manifestations féministes. Comment interprétez-vous cette présence devenue récurrente ?
Anna Margueritat : Cela s’inscrit dans une tentative de banaliser cette présence, de la rendre habituelle, coutumière. Cela va de pair avec un gouvernement qui, de plus en plus, est complaisant avec le fémonationalisme. Bruno Retailleau a félicité publiquement les actions de Némésis au travers d’Alice Cordier, sa porte-parole. Le message envoyé est très fort et légitime le fémonationalisme comme un courant républicain. Les militantes de Némésis se considèrent comme dissidentes, lanceuses d’alerte. Elles pensent représenter un mouvement à contre-courant de ce qu’elles appellent le « féminisme mainstream ».
Ce qu’elles attendent en allant en manifestations, c’est la confrontation. Elles multiplient les communiqués sur les interactions qu’elles ont avec d’autres manifestantes, et se nourrissent de ces confrontations et se dépeignent comme les perpétuelles cibles de l’extrême gauche. Ce pseudo-statut de victime leur permet de se figurer comme essentielles. Comme des martyrs.
Ils utilisent à leur avantage toutes les réactions qui s’opposent à leur idéologie.
Le 8 mars, les manifestantes ont réussi à sortir Némésis de la marche. Pourquoi cette action a-t-elle été vécue comme une victoire politique ?
C’est une question que je me pose tous les jours, et je n’ai pas la réponse idéale. Quand j’ai été confronté à Jordan Florentin lors de la manifestation fasciste qui a eu lieu pendant le procès de l’affaire Lola : il est venu me filmer, il m’a intimidé pour me pousser à répondre. Si on ne réagit pas, le narratif décrit une gauche qui n’a rien à dire. Si on part, on cible notre lâcheté. On leur répond, on est diabolisé et on devient des monstres. Ils utilisent à leur avantage toutes les réactions qui s’opposent à leur idéologie. C’est très compliqué, parce que l’indifférence peut être vue comme une forme de banalisation. Et en même temps, c’est aussi une manière d’éviter de leur fournir des images qu’ils peuvent utiliser pour leur communication. L’extrême droite veut nous empêcher de travailler.
Parmi le panel de réponses à avoir face aux fémonationalistes, il y a aussi le terrain judiciaire, même si l’institution, on le sait, est dysfonctionnelle. Vous avez écrit au procureur pour porter plainte contre le rédacteur en chef de Frontières et communicant, Jordan Florentin. Que s’est-il passé ?
C’est un outil, mais je n’en ferai pas la promotion parce qu’effectivement, le rapport que l’on entretient avec l’institution judiciaire est très propre aux positions de chacun·e. Le 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, j’avais fait le choix de suivre Némésis toute la journée. Ses militantes étaient accompagnées de tous les médias d’extrême droite : Valeurs actuelles, Frontières, etc. J’ai voulu documenter ce cortège-là. Elles ne scandaient que des slogans xénophobes, sous couvert de féminisme.
L’extrême droite ne parle jamais des violences contre les enfants ou des infanticides.
Il y avait aussi Jordan Florentin. Il a passé son temps à me harceler de questions. Je me suis aperçu qu’il avait tourné un reportage et plus d’une minute était consacrée à me filmer, alors que je ne lui avais pas donné mon accord. Ça avait conduit à une vague de cyberharcèlement, avec des menaces de viol. La porte de mon domicile a été forcée par, fort probablement, des militants d’extrême droite après une manifestation fasciste. Je me suis rendue au commissariat – un lieu toujours difficile, parce que l’on sait que nombre de policiers sont favorables à l’idéologie de Frontières. Cette plainte n’a rien donné.
Faute d’avoir été sanctionné, ce harcèlement s’est poursuivi lors de votre couverture du procès de l’affaire Lola ?
Oui, je couvrais une manifestation ouvertement fasciste. C’était devant le tribunal, le jour du verdict. Les personnes présentes demandaient le rétablissement de la peine de mort pour les personnes sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Elles scandaient : « Migrants assassins, journalistes complices ». Le rendez-vous officiel était présenté comme un « hommage à Lola ». Jordan Florentin me filmait constamment et m’a décrit dans ses articles comme une « militante proche des terroristes ACAB, avec ses yeux injectés de haine et de perversité ». J’ai déposé plainte à la fois contre Alice Cordier, qui a tourné une vidéo diffamante à mon égard et contre Jordan Florentin.
Comment appréhendez-vous les difficultés pour la gauche et les médias engagés de traiter ce type de procès, dont on sait que l’extrême droite sera au premier rang ?
C’est un devoir moral d’y être. Grâce à l’absence des médias de gauche et de la gauche en général, l’extrême droite a eu toute la place pour imposer son récit. Quand j’y étais, j’ai eu l’impression de me battre contre un camp qui gagnera de toute façon. L’avocat des Natifs, pendant la manifestation fasciste, a affirmé qu’il voulait le retour de la peine de mort pour les personnes sous le coup d’une OQTF. L’extrême droite a pu étaler tous ses arguments pendant toute l’affaire Lola. Au détriment de la mémoire de cette petite fille, dont la famille a insisté plusieurs fois pour la fin de cette récupération. L’extrême droite se fout de cette demande. Elle ne parle jamais des violences contre les enfants ou des infanticides.
L’extrême droite choisit le profil des violeurs qu’elle veut dénoncer et le profil des victimes qu’elle veut défendre.
Vous avez suivi aussi le procès des violeurs de Mazan, sur lequel vous avez écrit un livre récent. Par le nombre d’accusés et leur diversité, l’extrême droite est-elle parvenue à imposer sa grille de lecture raciste ?
Non, pas vraiment. Ce qui confirme que l’extrême droite choisit le profil des violeurs qu’elle veut dénoncer et le profil des victimes qu’elle veut défendre.
Vous avez été surprise du manque de changements, un an après ce procès dont on disait qu’il était historique ?
On attendait peut-être plus qu’il ne fallait de ce procès, dont on pensait qu’il allait changer les choses. Mais c’était déjà cet espoir lors du procès de Bertrant Cantat pour le meurtre de Marie Trintignant. La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences sexuelles a rendu son rapport cette semaine : il y a tous les jours au moins trois féminicides ou tentatives de féminicides en France. Certes, la notion de consentement est entrée dans la loi. Mais il y a toujours neuf plaintes sur dix qui sont classées sans suite. Il y a encore des policiers qui ne prennent pas les plaintes, ce qui est illégal. La victimisation secondaire se produit au moment de la plainte – en demandant des informations sur la tenue de la victime, son attitude, etc. Les autorités refusent de constater la dimension systémique des violences sexistes et sexuelles.
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