COP 30 : « En tant qu’activistes, on est presque obligées de trouver des manières originales de militer »

Après plus d’un mois de navigation, cinq activistes pour le climat sont arrivées à la COP 30, à Belem, à bord d’un voilier. Objectif : faire converger les luttes climatiques, antiracistes et féministes. Entretien.

Kamélia Ouaïssa  • 14 novembre 2025 abonné·es
COP 30 :  « En tant qu’activistes, on est presque obligées de trouver des manières originales de militer »
Adélaïde Charlier, Lucie Morauw, Camille Étienne, Maïté Meeûs, Mariam Touré et Coline Balfroid à bord de leur voilier, avant leur traversée de l'Atlantique
© Guillaume Dubois

Le 8 octobre, six femmes activistes – Adélaïde Charlier, Maïté Meeûs, Mariam Touré, Camille Étienne, Coline Balfroid et Lucie Morauw – se sont lancées dans une traversée de l’Atlantique pour rejoindre la COP 30, au Brésil. Cet équipage 100 % féminin, le Woman Wave Project, vise à placer les questions de discrimination au cœur des débats sur le climat.

Comment est née l’idée de cette traversée, et qu’est-ce qui vous a donné l’élan de partir vers la COP 30 par la mer plutôt qu’en avion ?

Adélaïde Charlier, activiste pour la justice climatique : Il y a six ans, j’ai participé au projet Sail to the COP. Avec 35 activistes, nous avions traversé l’Atlantique en voilier en direction du Chili, pour la COP 25. Mais à cause du contexte instable, le pays a préféré ne pas organiser l’événement. Nous avions quand même participé à un grand rendez-vous au Brésil, à Altamira, réunissant des défenseurs de la forêt amazonienne.

Six ans plus tard, le contexte a changé. La justice climatique ne fait plus l’actualité, sauf quand elle est niée par des climatosceptiques comme Donald Trump. Nous refusons qu’ils imposent leur vision du climat. Alors nous nous organisons. Nous avons voulu voyager en voilier et non en avion pour attirer l’attention sur cette cause. Notre équipage est composé uniquement de femmes pour souligner aussi qu’elles sont les premières touchées par les conséquences climatiques. Ce sont elles aussi que l’on retrouve comme moteur des mouvements environnementaux.

Prendre la mer, aussi longtemps, c’est aussi quitter le quotidien militant pour un voyage plus introspectif. Qu’est-ce que cette traversée représente pour vous ?

Maïté Meeûs, activiste féministe : Cela nous a permis de questionner notre rapport à la productivité. Nous avons beaucoup discuté de cette vision de l’arrêt, de la déconnexion. Sur terre, l’activisme nous demande d’être très réactives, sans cesse à l’affût de l’actualité. Je sens que j’ai toujours vécu mon engagement de façon stakhanoviste. C’est drôle car cela manque parfois de cohérence avec les idéaux que nous prônons. Ici, nous avons appris à incarner le combat différemment.

Prendre la mer, c’est envisager les éléments sous un autre prisme : apprivoiser le vent, comprendre le fonctionnement des nuages et des processus météorologiques, repérer les autres espèces vivantes qui nous entourent. Camille Étienne, aidée par Capucine, notre capitaine, a voulu apprendre à utiliser un sextant [un instrument de navigation, N.D.L.R.]. Quel bonheur de pouvoir se repérer grâce aux astres et non plus grâce à un GPS ou à la technologie moderne ! Philippa Rytkönen, l’une des skippeuses présentes avec nous, nous a expliqué qu’un bateau, c’est un peu comme une planète. Il s’agit d’un écosystème clos aux ressources limitées. L’idée, c’est aussi de réfléchir à la façon dont nous consommons l’eau, l’énergie et la nourriture car nous en disposons en quantités restreintes.

Notre équipage est composé uniquement de femmes pour souligner aussi qu’elles sont les premières touchées par les conséquences climatiques.

A. Charlier

Au-delà de tout cela, je pense que la résistance s’opère sur nos affects et nos relations interpersonnelles. Comme on le dit souvent, l’intime est profondément politique. Nous avons dû faire société sur ce bateau dans peu d’espace avec beaucoup de limitations. Il y a eu une émergence du care et une tendance à la communication claire et saine. J’ai découvert des personnalités venues d’horizons multiples prêtes à se soutenir et à créer du commun dans un environnement propice aux tensions. Cela restaure beaucoup d’espoir en moi.

Vous venez de parcours et de combats différents. En quoi cette traversée est-elle une manière concrète de faire vivre l’intersectionnalité des luttes ?

Mariam Touré, activiste pour les droits humains et les quartiers populaires : Certains de nos détracteurs ont pointé du doigt une intersectionnalité qui aurait été « fabriquée » de toutes pièces. Mais dans notre condition de femmes, notre besoin de nous unir est plus fort que tout car, même si nous appartenons à des classes sociales plutôt privilégiées, nous, femmes, sommes les premières à subir les conséquences des mauvaises décisions de nos gouvernements.

La crise climatique, ce n’est pas juste des degrés qui augmentent, des forêts qui brûlent et des glaciers qui fondent. C’est aussi moins d’espace où vivre et circuler, moins de chance de lier nos luttes, de vivre notre liberté. Ce faible espace qui nous reste, on ne peut que l’investir toutes ensemble. Cette force collective se fait appeler « intersectionnalité » mais, selon moi, c’est avant tout une question d’humanisme et de solidarité. Notre traversée a permis de mettre en exergue nos luttes croisées.

Par exemple, il est impossible d’organiser une traversée de l’Atlantique sans penser à ces personnes qui fuient leur territoire, à cause de la guerre, d’un génocide, d’un écocide, sur des embarcations de fortune. Des exils durant lesquels les femmes sont souvent victimes de violences et de viols. Le tout, sans médiatisation.

Notre traversée montre qu’un autre monde d’espoir est possible, il montre que toutes les situations injustes auxquelles on fait face, du Congo à Gaza en passant par le Soudan, nécessitent un travail global et intersectionnel.

(Photo : DR.)

Vous appartenez toutes à une génération qu’on dit « épuisée » par les crises et l’actualité, mais aussi profondément mobilisée. Qu’est-ce que votre initiative dit de la manière dont les jeunes s’engagent aujourd’hui ?

Camille Étienne, activiste pour la justice climatique et la justice sociale : Nous faisons face à un backlash écologique profond. Dans les plus grandes puissances mondiales, comme les États-Unis, les agences gouvernementales de protection de l’environnement sont fermées, les budgets de la recherche, drastiquement réduits, et des mots comme « dérèglement climatique », interdits. Mais aussi, plus proche de chez nous, l’Europe construit l’inaction climatique avec les attaques contre le Green Deal. En France, au cours des six derniers mois, le Réseau action climat a observé 43 reculs environnementaux.

Nous faisons face à un backlash écologique profond.

C. Étienne

Nous tentons donc de nous inviter là où nous sommes les plus attendues : les COP ont été phagocytées par les lobbys de l’industrie fossile et chimique. Cette grand-messe reste pourtant le seul endroit et le seul moment de l’année où l’attention du monde est tournée vers l’urgence climatique.

Avez-vous le sentiment que votre initiative a été suffisamment relayée, comprise et soutenue, ou, au contraire, ressentez-vous un manque d’attention médiatique et politique ?

Coline Balfroid, réalisatrice et vidéaste : On a eu les relais attendus en France et en Belgique. Forcément, le fait d’y aller en voilier et avec un équipage féminin fait parler et intrigue bien plus les médias. Ramener le sujet de la crise climatique et sociale au cœur des médias est de plus en plus difficile en raison de la montée de l’extrême droite et du climatoscepticisme. En tant qu’activistes, en 2025, on est presque obligées de se renouveler, de trouver des manières originales et impactantes de lutter pour visibiliser des sommets importants comme la COP 30.

Que voudriez-vous que les décideurs retiennent de votre démarche quand vous arriverez à la COP 30 ?

Lucie Morauw, activiste pour la justice climatique et sociale : La traversée de l’Atlantique fut la première grande partie de notre voyage. L’occasion, pendant un mois, d’apprendre à se connaître, de se retrouver et d’échanger. Une fois à la COP, la deuxième grande partie de notre projet commencera. Placer l’intersectionnalité de nos luttes dans des lieux de décisions. Prendre le temps – que l’on ne prend pas sur terre – pour réellement créer un espace de rencontre et de discussions.

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