COP 30 : « L’accord de Paris est comme un phare, mais ce n’est pas une baguette magique »

Marine Pouget, responsable « gouvernance internationale » pour le Réseau Action Climat, souligne le manque d’ambition des États en matière climatique et appelle à changer le modèle des COP pour aller vers plus de concret.

Vanina Delmas  • 3 novembre 2025
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COP 30 : « L’accord de Paris est comme un phare, mais ce n’est pas une baguette magique »
© Guillaume Deleurence

La 30e « Conférence des Parties » des Nations unies sur le climat se tiendra à Belém, en Amazonie brésilienne, du 10 au 22 novembre, et sera particulièrement scrutée. Dix ans après la ratification de l’accord de Paris, les États doivent présenter de nouveaux engagements climatiques plus ambitieux pour espérer limiter le réchauffement planétaire à +1,5 °C.

Dans son dernier rapport, le Réseau Action Climat explique que la COP 30 sera l’occasion de repenser la gouvernance climatique afin que ces sommets redeviennent « des espaces d’action efficaces, transparents et démocratiques » et qu’on puisse « redonner du poids aux pays vulnérables et aux communautés en première ligne » du changement climatique. Décryptage avec Marine Pouget, responsable « gouvernance internationale » du Réseau Action Climat.

À quelques jours de l’ouverture de la COP 30, seuls 64 pays ont rendu leurs nouvelles « contributions déterminées au niveau national » (NDC en anglais). Quel bilan peut-on en tirer à ce stade ?

Marine Pouget : C’est compliqué de tirer un bilan car la majorité des pays qui participent à la COP n’ont toujours pas remis leur bilan climat. Le bilan n’est pas totalement mauvais car les plans climat induisent pour la première fois une baisse mondiale des émissions de gaz à effet de serre dans les dix prochaines années. Mais, de fait, c’est négatif et même inquiétant, car ils étaient tous censés le faire au plus tard en septembre. J’en déduis que les pays ne sont pas prêts alors que la COP 30 s’ouvre dans une semaine.

Nous sommes dans une situation où les pays se jaugent.

Actuellement, aucun pays n’est aligné avec l’accord de Paris. Beaucoup de pays en développement ont dit qu’ils pourraient faire mieux mais sous conditions de financement. La COP 29 l’an dernier était axée sur le volet finances, mais les pays en développement avaient été très déçus car n’avaient obtenu qu’un tiers de leurs besoins. Les pays en développement n’osent pas dépasser leurs propres capacités et prendre le leadership parce qu’ils sont coincés par les questions de financement.

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Pour l’instant, même le Brésil est très timide et n’a même pas annoncé de calendrier de sortie des énergies fossiles. La Chine a envoyé des objectifs acceptables, mais qui pourraient être plus ambitieux. Nous sommes dans une situation où les pays se jaugent, et beaucoup attendent les annonces de l’Union européenne pour voir où se place le curseur de leurs ambitions en matière climatique car c’est le dernier leader du côté des pays développés.

António Guterres, le Secrétaire général des Nations unies, a tiré la sonnette d’alarme et déclaré que nous avions échoué à contenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle, comme le prévoit l’accord de Pari sur le climat. Ratifié il y a 10 ans, ce dernier est-il en péril ?

L’objectif de rester en dessous de 1,5 °C est effectivement en danger. On ne peut pas dire qu’on va le dépasser de manière absolue, c’est-à-dire qu’il y a peut-être quelques années où on va dépasser le +1,5, puis on parviendra à redescendre. Globalement, face à ce flou et ce manque de préparation des États, le message essentiel de la société civile est de dire que ce +1,5 reste notre ligne d’horizon commune. Et qu’on se battra jusqu’au bout pour rester au plus près de cette limite car on sait qu’il y a déjà une énorme différence sur les écosystèmes et les migrations climatiques si on passe à +2 °C.

L’accord de Paris a clairement insufflé une nouvelle dynamique mais commence à atteindre ses limites.

En juillet dernier, la Cour de justice internationale a sorti un avis consultatif disant que l’objectif de +1,5 °C n’est pas juste un politique, mais aussi une obligation juridique pour les États qui ont ratifié l’accord de Paris. L’accord de Paris est comme un phare, mais ce n’est pas une baguette magique. Il a permis d’envoyer des signaux forts, de forcer les États à investir dans de nouveaux secteurs, notamment les énergies renouvelables et surtout à fixer un cap collectif face à la crise climatique. Il a clairement insufflé une nouvelle dynamique mais commence à atteindre ses limites, car désormais, il faut le mettre en œuvre, et cela ne doit pas se passer à l’ONU, mais au sein des pays.

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L’ONU n’a absolument aucun mandat pour leur demander de mettre en place ce qu’ils ont signé à l’international. Or, la transition est fortement contrée dans de nombreux pays, que ce soit par des pouvoirs politiques, le secteur privé, financier, idéologique… Le contexte politique global actuel est très différent de celui de 2015, donc la transition peine à se faire au niveau national. Les COP actuelles ne fonctionnent plus car nous sommes restés au stade des négociations de textes, d’objectifs climatiques alors qu’en réalité, la plupart des textes existent déjà.

La priorité absolue est de rappeler que l’objectif du 1,5 °C est encore vivant.

Aujourd’hui, nous avons besoin de COP pour discuter de la mise en œuvre, de partenariats concrets. Les COP ne doivent plus être un grand salon international où on balance de grands discours, mais cela pourrait se faire en plus petits comités, sur des aspects plus techniques, moins médiatiques.

Quels seront les sujets prioritaires de la COP 30 qui pourraient marquer une rupture ?

La priorité absolue est de rappeler que l’objectif du +1,5 °C est encore vivant, et que même si l’ambition des États n’est pas à la hauteur cette année, elle peut être révisée l’année prochaine. Nous savons qu’on ne tiendra pas cet objectif, mais il ne faut pas tomber dans le défaitisme, nous avons besoin d’une réponse politique.

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Ensuite, cette COP 30 peut-être l’occasion de lancer un mécanisme de transition juste dans le monde entier, en dépassant le stade de la négociation. On pourrait mettre en place un outil qui prendrait en compte la transition écologique de manière juste dans toutes les politiques, y compris les accords commerciaux. L’idée est de mieux encadrer tous les échanges, les transferts d’aide technologique ou financier pour la transition. Ce serait inédit et concret.

Il y a besoin d’un signal très fort sur la finance climat des pays développés.

Enfin, la COP 30 doit encore et toujours parler finances ! Le grand objectif, c’est que les pays développés reconnaissent que ce qui a été acté l’année dernière n’est pas suffisant et qu’ils annoncent contribuer davantage afin de passer de 300 milliards de dollars à 1 300 milliards de dollars. Il y a besoin d’un signal très fort sur la finance climat des pays développés. Si on obtient ces trois choses, on pourra dire que la COP 30 a sauvé les meubles…

La COP 30 se tenant au Brésil, et à Belem, au cœur de la forêt amazonienne, est-ce qu’il y aura une attention particulière sur la déforestation, et sur la voix des peuples autochtones ?

Officiellement, le sujet de la forêt ne sera pas au cœur des négociations mais la présidence brésilienne a décidé d’en faire un thème majeur, notamment avec la création du Fonds pour la préservation des forêts tropicales (The Tropical Forest Forever Facility). L’idée est de créer un mécanisme pour mieux financer la protection de la forêt amazonienne.

Les peuples autochtones ne doivent pas être juste des personnes invitées dans la salle.

Concernant les peuples autochtones, il y a une petite nouveauté : la présidence brésilienne a créé plusieurs cercles pour se faire conseiller pendant la COP, et l’un des cercles est composé de peuples autochtones. Mais on estime que c’est encore assez timide et artificiel. Les peuples autochtones ne doivent pas être juste des personnes invitées dans la salle, ils devraient pleinement participer aux discussions. Actuellement, ils ont le même statut que les associations, c’est aberrant car ils ont leurs propres droits à défendre !

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En parallèle de la COP 30, il y aura le Sommet des peuples, où les peuples autochtones seront leaders et le président de la COP sera obligé de venir deux fois pour prendre des déclarations et les ramener dans les salles de négociations. C’est symbolique, mais je pense que cette année, la société civile sera très robuste et que leur voix portera davantage.

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