Causes et conséquences d’un génocide
Sonia Dayan-Herzbrun et Ziad Majed remettent en perspective le 7-Octobre et l’anéantissement de Gaza, des origines du sionisme aux bouleversements géopolitiques.
dans l’hebdo N° 1889 Acheter ce numéro

Le Sionisme, une invention européenne, Sonia Dayan-Herzbrun Lux, 120 pages, 14 euros.
Le Proche-Orient, miroir du monde, Ziad Majed La Découverte, 347 pages, 18,50 euros.
Voici deux livres qui nous éloignent de la double tragédie du 7-Octobre et du génocide pour mieux nous y ramener. La sociologue Sonia Dayan-Herzbrun nous propose une « genèse de l’idéologie sioniste », tandis que le politiste franco-libanais Ziad Majed se projette vers l’avenir pour mettre en évidence le basculement dont le Proche-Orient est le miroir. Le livre de Sonia Dayan-Herzbrun nous transporte dans l’éphémère république de Cromwell dans la Grande-Bretagne du XVIIe siècle.
Le sionisme (le mot n’apparaîtra qu’en 1890) est là une idée chrétienne pleine de paradoxes. Ce sont les puritains qui l’imaginent parce que la rédemption de l’humanité ne peut advenir qu’après le retour « des enfants d’Israël dans leur patrie perdue », et après qu’ils se fussent convertis au christianisme. L’autrice observe que « les évangélistes américains d’aujourd’hui, fervents partisans de Trump et de Netanyahou, en sont toujours persuadés ». Elle note que « l’identification à l’Autre (les Juifs) aboutit à sa suppression dans son altérité ».
On retrouve cette croyance au XIXe siècle quand se pose la question d’Orient. Là encore, les Juifs sont les objets d’un dessein qui n’est pas le leur. Lorsqu’en 1840 le secrétaire aux Affaires étrangères britanniques, Lord Palmerston, va plaider auprès du sultan de l’empire ottoman pour le « retour » des Juifs en Palestine, c’est pour des visées stratégiques. Il s’agit tantôt d’installer sur une terre convoitée une population juive qui leur sera soumise, et tantôt de se débarrasser de pauvres hères, les Schnorrers, migrants dépourvus de tout, venus d’Europe de l’Est, qui produisent autour d’eux méfiance et hostilité.
Le génie des sionistes est d’avoir su inscrire leur projet dans la stratégie de l’empire britannique.
Le génie des sionistes est d’avoir su inscrire leur projet dans la stratégie de l’empire britannique. Sonia Dayan-Herzbrun parle d’une « connivence de l’anglo-judaïsme et du sionisme chrétien ». La naissance du sionisme est peuplée de faux amis, jusqu’à l’antisémite Arthur Balfour, dont la fameuse « déclaration » de novembre 1917 a été décisive.
Quant aux Arabes, il faut lire ce qu’en disait en 1881 le « chrétien protosioniste » Laurence Oliphant, qui proposait qu’on leur applique « le même système que nous avons adopté avec succès au Canada à l’égard de nos tribus indiennes […], qui ont été confinées dans leurs réserves et vivent ainsi en paix entre elles ». Tout n’était-il pas déjà écrit d’un projet toujours férocement à l’œuvre ?
Le Proche-Orient comme métaphore
L’histoire que restitue Ziad Majed revient sur les origines contemporaines du conflit judéo-arabe puis israélo-palestinien depuis le démantèlement de l’empire ottoman jusqu’au génocide de Gaza. La lecture anticoloniale de Majed est précieuse pour tous les oublieux volontaires de l’histoire qui ont fait surgir le 7-Octobre du néant. Mais l’essentiel de son propos est ailleurs.
Avec la pertinence qu’on lui connaît, il voit le Proche-Orient comme une métaphore des évolutions du monde actuel, dominé encore et toujours par la pensée coloniale jusque dans la façon dont nos médias « hiérarchisent les vies », adhèrent à une vision civilisationnelle du conflit et imposent une « logique d’exception » dont Israël est le grand bénéficiaire.
À « l’heure trumpienne », le soutien à Israël va de pair avec l’abandon du multilatéralisme et le démantèlement du droit international. Ce que Majed appelle « l’effritement de l’universalisme juridique ». Il parle d’un « renversement dans les prétentions éthiques de l’Occident ». C’est une « logique d’exception permanente » qui s’est installée, traquant jusque dans les universités et les espaces culturels des « dissonances » qui ne sont plus définies par le droit mais par des considérations identitaires ou mercantiles. Majed ne saurait mieux dire au moment où l’on interdit un colloque du Collège de France sur la Palestine. Le nouveau désordre international mine l’intérieur même de nos démocraties.
Pour aller plus loin…
Algérie : la mémoire entravée de la colonisation
Le roman national-républicain, ou la fabrique de la « France au sommet des civilisations »
Franco : une récupération aux mille visages

