Pourquoi l’examen budgétaire est déjà terminé
En renonçant au 49.3 sans renoncer au verrouillage institutionnel, le gouvernement met en scène un faux « moment parlementaire ». Un leurre, selon Maël Brillant, directeur du cabinet d’Élise Leboucher, députée insoumise de la Sarthe.

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Budget : le cadeau d’un milliard d’euros du gouvernement au patronat « Ce n’est pas le ‘grand soir’, mais nous voulons changer la vie des gens » Sécurité sociale : le musée des horreurs du gouvernementLe gouvernement a renoncé à dégainer le 49.3 ? En apparence seulement. En réalité, le budget est déjà verrouillé, et l’examen parlementaire n’aura rien de plus « démocratique ». En vantant un moment « plus parlementaire », Sébastien Lecornu a offert au Parti socialiste le prétexte rêvé pour ne pas voter la motion de censure du 16 octobre. Depuis, plusieurs députés PS se félicitent du retour du débat et du « pouvoir retrouvé » du Parlement.
Avec ou sans 49.3, la Ve République n’est pas un régime parlementaire.
Qu’en est-il réellement ? En quelques mots : avec ou sans 49.3, la Ve République n’est pas un régime parlementaire. Prétendre le contraire revient à vouloir jouer aux petits chevaux sur un échiquier. Notre régime semi-présidentiel repose sur la limitation du pouvoir du Parlement. C’est ce que l’on appelle le parlementarisme rationalisé. L’article 49.3 n’en est pas l’essence, mais le symbole.
Les entraves au pouvoir législatif sont nombreuses : l’article 40 limite les amendements budgétaires, l’article 45 accélère les procédures, les articles 44, 47, 48, 49 verrouillent l’initiative et le calendrier. Comme l’a résumé Matthias Tavel, député insoumis de Saint-Nazaire, récemment : « Pour le parlementaire, la Ve République est une Constitution de trou de souris. »
Dès lors, croire qu’on peut exercer un pouvoir parlementaire « plein et entier » au sein de la Ve revient à s’adonner à un jeu de rôle dont on ne maîtrise ni les règles ni le scénario. Celles et ceux qui saluent un « moment parlementaire » oublient probablement la nature semi-présidentielle de notre régime.
Le piège constitutionnel du budget
Pour comprendre ce qui se joue dans l’examen du budget, il faut revenir à l’article 47 de la Constitution. Cet article fixe un délai de 70 jours pour l’examen du projet de loi de finances (50 pour la Sécurité sociale) et autorise, passé ce délai, le passage par ordonnances, « si le parlement ne s’est pas prononcé ». Autrement dit : dès que le gouvernement dépose son budget auprès de l’Assemblée, le compte à rebours est enclenché. Et une fois lancé, il ne peut plus être arrêté. C’est ce délai, et non un vote du Parlement, qui fonde le droit du gouvernement à adopter son budget par ordonnances.
Le simple dépôt du budget enclenche une mécanique automatique qui, quoi qu’il arrive, garantit son adoption.
En clair : le simple dépôt du budget enclenche une mécanique automatique qui, quoi qu’il arrive, garantit son adoption, sauf en cas de dissolution. Une précision qui n’est pas anecdotique. Car seule l’option où le parlement ne serait pas en session permet de suspendre les délais constitutionnels. Cela éloigne l’hypothèse d’une dissolution avant la clôture des délais dévolus à l’examen du budget, car la suspension des délais contrarierait le passage par ordonnances. Pas certain que le président Macron y voie une opportunité…
Autre hypothèse, l’article 47 permet de contourner la navette parlementaire classique : si l’Assemblée n’a pas voté dans les 40 jours, il est possible de donner la main au Sénat immédiatement. Si Lecornu choisissait cette voie, il s’exposerait probablement à une censure – mais sans effet réel sur le fond du processus budgétaire.
La censure, un leurre
Malgré le rejet de la taxe Zucman vendredi 31 octobre, y compris dans ses versions dévoyées, la Parti socialiste n’a pas annoncé de dépôt de motion de censure. Boris Vallaud en avait pourtant fait un totem lors de l’examen de la motion de censure déposée par les Insoumis. Pour le moment, le parti à la rose semble se contenter du non-gel des pensions de retraites et des minima sociaux. Mais que se passerait-il si finalement, Olivier Faure mettait sa menace de censure à exécution ? Pas grand-chose.
Car une censure, après le lancement du délai constitutionnel, n’interrompt pas l’examen budgétaire. L’article 47 lie le processus au Parlement, non à l’état politique du gouvernement. En clair, Lecornu partirait, son budget resterait. Un gouvernement démissionnaire ne peut certes pas légiférer par ordonnance, mais un gouvernement, fraîchement nommé, en aurait le pouvoir. Ce pourrait être un gouvernement Lecornu III (par exemple) nommé en urgence pour signer les textes avant de tomber 48 heures plus tard.
Il y a fort à parier que le budget le plus austéritaire de la Ve République entrera en vigueur sans encombre, emportant au passage quelques acquis sociaux.
Pour résumer, la seule façon de bloquer le budget pour 2026 aurait été de censurer le gouvernement avant la présentation de son projet à l’Assemblée. C’est cette présentation qui déclenche le compte à rebours constitutionnel.
En échappant à la censure, Lecornu a obtenu bien plus qu’un répit : il a sécurisé son budget, avec ou sans l’assentiment du Parlement (et plutôt sans). L’article 47, plus que le 49.3, est la véritable clef de ce verrouillage. C’est lui qui rend l’examen parlementaire purement cosmétique. Ce n’est donc pas seulement le 49.3 qu’il fallait déposer aux pieds de la Représentation nationale, mais aussi l’ensemble des outils constitutionnels du verrouillage parlementaire, à commencer par ceux contenus dans l’article 47.
Notre démocratie passera mal l’hiver, et la séquence actuelle nous laissera le soin de faire l’autopsie de son cadavre. Car à l’issue des discussions en cours, il y a fort à parier que le budget le plus austéritaire de la Ve République entrera en vigueur sans encombre, emportant au passage quelques acquis sociaux au nom du « réalisme budgétaire ». Et ceux qui auront vu une « victoire du parlementarisme » dans cette parodie de débat risquent de découvrir trop tard qu’ils ont joué dans une pièce écrite d’avance.
Ce qu’il se passe en cas de censure
En premier lieu, le gouvernement démissionnaire ne peut prendre aucune ordonnance, au-delà de l’absence de légitimité politique, il n’en a pas la capacité juridique. En second lieu, le budget n’est pas invalidé en cas de motion de censure 49-2. L’état de l’examen du budget ne dépend PAS de l’état politique du gouvernement.
Ensuite, le délai constitutionnel des 70 et 50 jours dévolu à l’examen budgétaire n’est ni suspendu ni annulé. La navette poursuit son chemin. Enfin, à l’expiration de ce délai, un nouveau gouvernement (Lecornu III, soyons fous) peut parfaitement recourir aux ordonnances pour « régulariser » la situation budgétaire.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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