Budget : le (très) décevant rapport sur l’imposition du patrimoine      

Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a rendu, ce 1er décembre, un volumineux rapport sur l’imposition du patrimoine. Si celui-ci dresse le constat d’une imposition « très inégalitaire », ses recommandations restent, dans l’ensemble, peu ambitieuses.

Pierre Jequier-Zalc  • 2 décembre 2025
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Budget : le (très) décevant rapport sur l’imposition du patrimoine      
© Camille Airvault / Unsplash

Il y a la stratégie politique. Et il y a le fond des propositions. Depuis quelques jours, ce dernier a largement disparu du devant de la scène médiatique, au profit des manœuvres politiciennes. Une seule question reste alors en suspens : comment le gouvernement minoritaire pourra faire adopter un budget ? Ce que ce dernier contiendra, finalement, est relégué au second plan. Le rapport rendu ce lundi 1er décembre par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), instance associée à la Cour des comptes, a le mérite de recentrer le débat sur un enjeu majeur : la taxation du patrimoine.

En 2021, les 10 % les plus aisés détenaient environ 50 % du patrimoine brut en France.

Rapport CPO

Le constat, posé en préambule de ce volumineux travail de plus de 200 pages, est clair : « L’imposition du patrimoine en France demeure aujourd’hui forte, complexe, inégalitaire et peu efficace. » Toute la première partie est consacrée à illustrer ce constat, à travers un important travail de chiffrage et de recension de la littérature existante sur le sujet. En premier lieu, sur l’explosion du patrimoine : « En France, la valeur du patrimoine des ménages a presque triplé en euros courants depuis 2001, […] une augmentation près de deux fois plus rapide que celle du revenu disponible net des ménages. »

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Mais, aussi et surtout, par l’extrême concentration de ceux-ci au sein d’une petite fraction de la population. « En 2021, les 10 % les plus aisés détenaient environ 50 % du patrimoine brut en France, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en détenaient que 8 %. Ces même 10 % les plus aisés détenaient 99 % du patrimoine professionnel total en France », poursuit le rapport qui explique que, depuis 2009, « l’augmentation de la valeur du patrimoine est concentrée sur les 1 % les plus riches ».

Exonérations

Surtout, ce contexte de concentration a tendance à se reproduire dans le temps avec l’héritage, dont la taxation reste « mitée » par tout un tas d’exonérations fiscales. Ainsi, 66 % des personnes du quintile supérieur (les 20 % les plus riches) déclarent avoir reçu un héritage ou une donation significative. Un phénomène qui, si rien ne change, risque de s’aggraver avec le décès progressif de la génération des baby-boomers qui, selon le rapport, entraînera « une transmission massive de patrimoine ». Et ainsi, un renforcement des inégalités patrimoniales.

Le constat est donc là, sans ambages, mais sans révélation non plus. Voilà des années qu’il est largement documenté, notamment au sein des vastes travaux du World Inequality Lab. Et pourtant, la fiscalité du patrimoine n’arrive pas à enrayer cette dynamique. Il suffit d’ailleurs de regarder l’architecture de celle-ci pour comprendre les raisons de cette « impuissance » choisie des pouvoirs publics.

On taxe un peu tout le monde plutôt que de mettre l’accent sur ceux qui accumulent massivement du patrimoine.

A-L. Delatte

En 2024, l’impôt sur le patrimoine des ménages qui rapporte le plus de recettes à l’État est la taxe foncière, qui représente près de 25 % de l’ensemble des prélèvements obligatoires sur le patrimoine avec 26,1 milliards d’euros de recettes. Or cet impôt, dont l’assiette est très large – 57 % des Français sont propriétaires de leur résidence principale – « demeure très inégalitaire ». « La taxe foncière est un impôt régressif qui pèse davantage sur les plus petits patrimoines immobiliers », souligne ainsi le rapport.

« L’imposition sur la détention de patrimoine demeure très inégalitaire, abonde l’économiste au CNRS, Anne-Laure Delatte, car le patrimoine immobilier demeure le moins concentré, proportionnellement. D’un point de vue de l’équité, c’est un peu l’équivalent de la TVA. On taxe un peu tout le monde plutôt que de mettre l’accent sur ceux qui accumulent massivement du patrimoine, notamment financier et professionnel ».

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C’est d’ailleurs sur ce dernier point que le rapport rate sa cible. « Il y a un refus de discuter vraiment de l’imposition des biens professionnels », poursuit l’économiste. Une phrase, dans la synthèse publiée par le CPO, illustre, selon elle, cette incapacité à prendre ce sujet, à bras-le-corps. « Sur le plan économique, une imposition récurrente des biens professionnels est de nature à peser sur les décisions d’investissement et la compétitivité de l’économie française », écrivent les auteurs. « C’est totalement dingue ! Je n’ai connaissance d’aucune étude académique sérieuse qui prouve cette phrase », assène Anne-Laure Delatte.

Timidité

Ainsi, la seule mesure proposée sur la détention astronomique de patrimoine par les ultra-riches est une sorte d’ISF remodelée, excluant de l’assiette les biens professionnels, au nom un peu barbare d’IDFP (impôt différentiel sur la fortune personnelle). Le CPO estime que cette mesure rapporterait 1,4 milliard d’euros, au mieux. Une somme bien faible en comparaison des recettes de la taxe Zucman – incluant les biens professionnels – estimées entre 15 et 20 milliards d’euros par an. Et qui ne permettrait pas d’inverser la dynamique de concentration à l’œuvre ces dernières années. « Ce rapport est avant tout technique. Il est bien plus timide que l’état du débat public actuel sur cette question », note Anne-Laure Delatte.

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Preuve de cette frilosité, les recommandations établies par le rapport se font « à rendement constant ». Autrement dit, le but n’est pas de trouver des recettes supplémentaires, mais de mieux répartir la taxation du patrimoine et la rendre plus « efficace » d’un point de vue économique. Un postulat de départ qui part du principe que la France se place déjà dans les pays de l’OCDE qui impose le plus le patrimoine.

Mais ce postulat interroge. Et si certaines mesures proposées par le CPO semblent aller dans le bon sens – notamment en s’attaquant un peu au pacte Dutreil, une des principales niches fiscales des très riches pour échapper à l’impôt sur l’héritage – le « big bang » fiscal décrit par certains médias semble être encore loin. Très loin.

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