Ce que veut Bayrou

Michel Soudais  • 27 avril 2007
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Y aura-t-il un débat entre Ségolène Royal et François Bayrou? La candidate socialiste l’a proposé, le président de l’UDF l’a accepté, mais Nicolas Sarkozy veut l’empêcher. Après quelques échanges à distance sur les modalités de cette rencontre (télévisée ou non), il était question d’un rendez-vous vendredi matin devant la presse quotidienne régionale (dites PQR, ça fait branché!). Raté! Les patrons de cette presse se sont désisté. La confrontation devait donc se dérouler samedi matin dans le studio du Grand journal de Canal + sous l’arbitrage de Michel Denisot, un ami de… Nicolas Sarkozy. Elkabbach n’était pas libre? Raté encore puisque la chaîne cryptée s’est récusé au bout de quelques heures. Du côté de la candidate, on incrimine des pressions du candidat de l’UMP. Allons! Comme si l’ex-jeune maire de Neuilly, avec sa bouille d’enfant de chœur était du genre à exercer des pressions sur la presse…

Résultat, à cette heure (tardive) aucun rendez-vous ferme n’a pu encore être fixé pour ce débat. Qu’on se rassure, ### «d’une manière ou d’une autre il aura lieu»* , assure le socialiste Julien Dray** . On peut faire confiance au porte-parole de Mme Royal puisqu’il a, en la matière, le mérite de la constance. Le 16 mai 2006, onze députés UDF, dont François Bayrou, votaient la motion de censure déposée à l’Assemblée nationale par le PS, suite à l’affaire Clearstream. Sur I-télé, le lendemain , Julien Dray, interrogé sur la possibilité pour le PS de gouverner avec l’UDF, répondait : « A ce stade-là, non, car sur le plan social les divergences sont profondes. Maintenant, dans le cadre d’une élection présidentielle à venir et d’un repositionnement politique, tout est ouvert et tout est possible. » Il semble que nous y sommes…

Que peut donc bien attendre Ségolène Royal de ce débat? François Bayrou, on le sait, ne donnera pas de consigne de vote. Il l’a dit, mercredi au cours d’une conférence de presse. Et sa décision, prévisible, est «définitive» . Ne pas donner de consigne de vote est «un acte de confiance à l’égard des 7 millions d’électeurs qui ont voté pour moi» , a déclaré au JT de France 2 le président de l’UDF, qui avait annoncé un peu plus tôt, la création d’une nouvelle formation, le «Parti démocrate».

La candidate socialiste ne peut guère espérer autre chose qu’un signe du «troisième homme», qui a tout de même rassemblé 6.820.000 électeurs et 18,57% des suffrages. Ce n’est pas mince. Or celui-ci n’a pas exclu de dire, d’ici au 6 mai, pour qui il votera, «en fonction de l’évolution» de la campagne électorale. Ah, s’il osait!

En retour, qu’espère François Bayrou d’une telle confrontation? «J’attends que nous puissions dire clairement où sont nos points de rencontre et nos points de désaccords» , a-t-il indiqué lors de sa conférence de presse. Comme si après des mois de campagne et sa prestation mercredi, il pouvait encore subsister des zones d’ombres sur ce que le président de l’UDF pense des deux finalistes.

La première erreur serait de prétendre que François Bayrou a renvoyé dos-à-dos Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. L’absence de consigne de vote ne signifie pas neutralité. En dressant, mercredi, la liste des critiques qu’il fait à l’un et à l’autre, le candidat de «la révolution orange» a nettement plus chargé la barque du président de l’UMP. Cela avait déjà été le cas lors de son meeting à Bercy.

Dans le propos introductif à sa conférence de presse, François Bayrou a d’abord rappelé quels étaient les maux de la France qu’il avait diagnostiqué au cours de sa campagne: crise de la démocratie, crise du tissu social, crise économique. Pour lui, «ces trois maux (…) doivent être soignés et réparés ensemble» . Et il est convaincu que Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal «vont non pas réparer mais aggraver l’un ou l’autre de ces maux» . François Bayrou, Monsieur «ni-ni»? Pas si simple.

Balance inégale

Sur Nicolas Sarkozy que dit-il? «Par sa proximité avec les milieux d’affaires et les puissances médiatiques, par son goût de l’intimidation et de la menace, [il] va concentrer les pouvoirs comme jamais ils ne l’ont été. Par son tempérament, et les thèmes qu’il a choisi d’attiser, il risque d’aggraver les déchirures du tissu social, notamment en conduisant une politique d’avantage au plus riche.»

Sur Ségolène Royal que dit-il? Elle « paraît mieux intentionnée en matière de démocratie, encore que le parti socialiste n’ait rien fait quand il était au pouvoir pour corriger ces maux, plus attentive à l’égard du tissu social, mais son programme, multipliant les interventions de l’État, perpétuant l’illusion que c’est à l’État de s’occuper de tout, et qu’il peut s’occuper de tout, créant je ne sais combien de services publics, va exactement à l’encontre, en sens contraire, des orientations nécessaires pour rendre à notre pays et à son économie leur créativité et leur équilibre.»

François Bayrou reproche de surcroît aux deux candidats d’avoir «promis une augmentation absolument délirante des dépenses publiques, de l’ordre de 60 milliards d’euros chacun, dans un pays endetté comme le nôtre, l’un des deux ajoutant une baisse totalement improbable des prélèvements obligatoires dans une proportion que ni Reagan ni Mme Thatcher n’ont jamais approchée même en rêve» .

Le résumé que le président de l’UDF donne de ses critiques est clair: «Nicolas Sarkozy va aggraver les problèmes de la démocratie et la fracture du tissu social, Ségolène Royal, par son programme, va aggraver durablement les problèmes de l’économie et l’un comme l’autre vont déséquilibrer le déficit et la dette.» Nicolas sarkozy a trois mauvais points, Ségolène Royal deux. Sur la balance des critiques bayrouistes, le plateau du candidat de l’UMP est plus chargé que celui de la candidate du PS. Ce qu’a encore confirmé l’échange de questions-réponses entre François Bayrou et les journalistes, venus très nombreux à sa conférence de presse.

### «Je commence à savoir ce que je ne ferai pas.»

A John-Paul Lepers qui l’interrogeait sur son vote personnel, François Bayrou a répondu, énigmatique: «A l’heure qu’il est je ne sais pas ce que je ferai… Je commence à savoir ce que je ne ferai pas. J’imagine qu’en ayant lu mes propos vous commencer à le discerner.»

Sur l’intention de Nicolas Sarkozy de susciter la création d’une sorte d’UDF-canal historique pour regrouper les supplétifs centristes de l’UMP, il réplique: «Cela ressemble assez à ce que j’ai appelé la manière de gouverner des Hauts-de-Seine , qui n’est pas pour moi un exemple de démocratie

Après avoir estimé qu’il existe «une ressemblance entre Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi» , le président de l’UDF, qui a soutenu, «très tôt» a-t-il précisé, Romano Prodi contre Il Cavaliere, a mis en cause «une manière d’intimider autour de soi (« si tu n’obéis pas on te le fera payer »), qui a pu quelques fois (…) gagner jusqu’aux rangs de la presse» . «Cette manière-là est pour moi une manière tellement archaïque, tellement anachronique, que j’ai voulu le dire devant vous» , a-t-il conclu.

Il n’a pas non plus démenti les propos qu’il avait tenu en «off», le 16 mars, devant des lecteurs du journal Sud-Ouest, qui les a publié (avec le son), le 25 avril. Il y déclarait: ### «On ne peut pas rencontrer plus différents que Nicolas Sarkozy et moi.» Et racontait également comment le futur candidat de l’UMP lui avait proposé en février 2004 une «alliance» contre un Jacques Chirac «démodé» [^2].

Enfin, questionné sur les programmes économiques des deux finalistes, François Bayrou a encore durci son jugement sur le président de l’UMP : «Les fondamentaux de Nicolas Sarkozy en économie étaient des fondamentaux assez équilibrés, puis il s’est mis à partir dans une espèce de dérapage, jusqu’à l’échelle mobile des salaires, en passant par des dépenses de dizaines de milliards et par la promesse de baisse des prélèvements obligatoires par dizaines de milliards aussi qui étaient pour moi et ceux qui m’entouraient absolument impressionnants.»

En revanche, ce qui chiffonne ce libéral est moins le programme économique proprement dit de Ségolène Royal que le statut de l’Etat qu’il croit y déceler . «Cette manière de faire croire que l’Etat pouvait tout, de la garde des enfants jusqu’au financement des emplois, jusqu’au service public de la caution, l’Etat faisant tout, cette manière-là est un drame pour la France , estime-t-il. C’est une manière d’infantiliser les citoyens et c’est aussi une manière de multiplier les impuissances de cet Etat. Sur ce point je suis en grave contradiction avec ce que Ségolène Royal a proposé pendant cette campagne.»

Difficile après ça de ne pas voir que François Bayrou , en dépit de son refus d’indiquer un choix à ses électeurs, incline plus pour l’une que pour l’un des deux finalistes . Que pourrait-il dire de plus dans le cadre d’un débat?

Certes ce dialogue permettra à la candidate de s’adresser plus spécifiquement aux électeurs du chantre de la «Révolution orange», à travers leur représentant. Mais il constituera aussi une excellente occasion pour celui-ci de placer son tout nouveau Parti démocrate au niveau des deux grandes formations de gouvernement.

François Bayrou pourra surtout faire savoir à quelles conditions il accepterait une alliance avec le PS. L’une d’elle, il n’en a pas fait mystère mercredi, est que le PS cesse d’être «dans l’alliance avec l’extrême gauche» (ce qui dans son esprit inclut le PCF) [[A propos de la proposition formulée, avant le premier tour, par Michel Rocard d’une alliance Royal-Bayrou, François Bayrou a déclaré, mercredi: *«Si quand il y a eu cette idée avancée, et dont j’ai dit moi même qu’elle était intéressante, si les réactions du PS n’avaient pas été, je cite: « Il est à droite, définitivement à droite, il n’y aura jamais rien à faire avec lui. » Ou bien, je cite un autre hiérarque : « On ne peut pas concilier l’inconciliable. » Ou bien : « C’est des gens que nous avons toujours combattus. » *Je pourrais aligner ce genre de formules. Probablement la situation eût-elle été différente. Mais on ne réécrit pas l’histoire.
Je considère que **j’ai fait
ce jour-là une offre qui était une offre de bonne foi qui permettrait d’envisager différemment la politique française. Cela comportait une conséquence : c’était que le parti socialiste ne fut pas dans l’alliance avec l’extrême gauche, si on veut qu’il y ait une logique. Et c’est sur ce point en effet qu’il y a eu de la part du PS des réactions qui ont été suffisamment éloquentes pour qu’on s’aperçoive que les esprits n’avaient pas encore bougés.»* ]]. C’est pour lui une question de «logique» .

Est-ce vraiment ce débat que recherchent Ségolène Royal et ses proches?

[^2]: «Je te propose une alliance contre Chirac. On va faire les jeunes et on va le démoder, lui qui est vieux. On va lui faire la guerre et, au bout du compte, on fait une alliance contre Chirac» , aurait déclaré M. Sarkozy.

Temps de lecture : 10 minutes
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