Territoires de l’homophobie

Alors que Paris prépare la Gay Pride du 30 juin, les discriminations à l’égard des homosexuels se portent encore très bien en France. Les témoignages recueillis par SOS Homophobie donnent la nausée.

Xavier Frison  • 28 juin 2007 abonné·es
Territoires de l’homophobie
© SOS Homophobie, Ligne d'écoute anonyme de SOS Homophie : 0 810 108 135 (prix d'un appel local) ou 01 48 06 42 41. Gay Pride,

C’est un plombier accroupi sous l’évier d’un client. Ce dernier, au second plan, observe le postérieur de l’artisan d’un oeil concupiscent. Un slogan légende sans équivoque cette publicité pour un véhicule utilitaire de la marque Volkswagen~: « Le danger ne viendra pas de la route. » Bienvenue dans le monde de l’homophobie ordinaire, assumée et naturelle. Décomplexée et volontaire. Ce monde, c’est le nôtre, celui de la France de l’intolérance en 2006, passée au crible dans le dernier rapport de l’association SOS Homophobie. Présenté comme le seul ouvrage « à se réactualiser chaque année pour dresser l’état des lieux de l’homophobie dans notre pays » , le rapport 2007 propose une singulière analyse quantitative et qualitative du phénomène. Pour cette onzième édition, l’équipe de rédaction a utilisé l’ensemble des témoignages reçus par l’association en 2006, complétés par une analyse minutieuse de la presse et de l’actualité politique.

Illustration - Territoires de l’homophobie

Le 16 juin 2007 à Strasbourg, lors d’une marche de la visibilité homosexuelle, bisexuelle et transgenre. FLORIN/AFP

Les chiffres, d’abord. Ils sont éloquents. Au cours de l’année 2006, SOS Homophobie a reçu 1 332 témoignages, soit une hausse de 10 ~% par rapport à 2005. L’homophobie dans le monde du travail reste le premier motif d’interpellation de l’association, avec 16~% des témoignages, même si le chiffre est en baisse de 5 points par rapport à l’année précédente. En revanche, l’homophobie dans les lieux publics et le voisinage passe respectivement de 7 et 9~% à 12~% des témoignages en 2006. La famille reste « un domaine sensible » , avec 11~% des appels concernés, pourcentage également en hausse. Internet est de plus en plus gangrené par l’homophobie, avec 9~% du total des plaintes cette année. Enfin, dans les commerces et services, le client n’est pas toujours roi : 7~% des témoignages concernent ce secteur.

Les témoignages à proprement parler, ensuite. Certains donnent la nausée. Naji, d’origine marocaine, a 18 ans et vit en banlieue parisienne avec sa mère et ses deux frères. Sa famille lui fait vivre un calvaire depuis qu’elle a appris son homosexualité~: confiscation de ses papiers, obligation de faire la prière. Il est même emmené plusieurs fois de force dans un terrain vague, au bord d’un trou que ses frères lui ont fait creuser. Ils le menacent~: « Si tu restes pédé, on te met dedans et on ferme le trou. » Quand la famille devient bourreau…

Julie, 30 ans, habite Paris. Au pied de l’immeuble de sa soeur, son beau-frère, éméché, déverse sur elle un torrent d’injures : « T’es qu’une putain de sale lesbienne de merde […], t’as besoin d’une bonne pine dans le cul. » Puis il la frappe, lui attrape la tête par les cheveux pour la cogner contre un banc. </>

Thibaut, à bout de force, raconte lui aussi son histoire. Son frère le menace, l’insulte et le tabasse. La police est venue mais estime qu’elle ne peut rien faire, car elle « n’est pas assistante sociale ».

Des commerçants bien inspirés font preuve de la même ouverture d’esprit. Les expressions « sale pédé », « tarlouze » , « sale gouine » peuvent aussi bien être lancées par le patron d’un restaurant dans les Vosges que par un entrepreneur de l’Aude ou un vendeur dans une parfumerie de la Haute-Loire. À une question sur la programmation du film le Secret de Brokeback Mountain , une histoire d’amour homosexuel, la caissière d’un cinéma de la région lyonnaise répond à Laurent~: «~Dans notre cinéma, on n’aime pas les pédés. »

Au bureau, c’est parfois « l’enfer » . Ouvrier dans une usine de Normandie, Jean-Pierre subit des discours gratinés de la part de ses collègues : « Il faut les exterminer, il faut rouvrir les chambres à gaz pour les y mettre. » Un des clients de Julien, jeune avocat, lui a déclaré que « les pédophiles, c’est comme les pédés, ça ne se reproduit pas, mais il y en a de plus en plus » .

Dans les lieux publics, « la violence peut frapper partout » . Paul a été insulté et frappé à coups de pied et de poing dans les rues de Nantes. Sylvie et Christiane rentrent de la Gay Pride. Dans le métro, un jeune de banlieue les traite de « grosses gouines » avant de les passer à tabac pendant quinze minutes.

On pourrait croire que le milieu de la santé et de la médecine est à l’abri de cette sauvagerie psychologique et physique. Erreur. Entre fin de non-recevoir lors des collectes de sang pour les hommes ou accueil glacial par certaines gynécologues pour les filles, les blouses blanches ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Un aide-soignant, qui vient consulter aux urgences de l’hôpital de Paris où il travaille, est accueilli par des insultes homophobes de la part du collègue qui l’examine. Ce cadre trentenaire, lui, est effaré par « l’homophobie ambiante » du service de soins intensifs de cet établissement des Alpes-Maritimes où son ami est pourtant soigné après un grave accident.

En dehors de nos frontières, où le rapport de SOS Homophobie ne s’aventure pas, la situation n’est guère plus reluisante. À Moscou, par exemple, la Gay Pride du 28 mai s’est soldée par de violentes agressions à l’encontre des militants, mais aussi des députés européens présents dans le cortège. La police ? Elle a tranquillement laissé les cogneurs « s’exprimer », avant d’embarquer… les victimes au poste, militants, élus nationaux et européens confondus. En Serbie et dans les Balkans, en Roumanie ou en Pologne, la situation est également très préoccupante pour les homosexuels, cibles des mouvements patriotiques et de lois hostiles.

Dans un autre style, l’ex-basketteur de la prestigieuse et très policée ligue américaine NBA et du CSP Limoges, John Amaechi, a révélé son homosexualité dans un livre paru en février dernier. Une première dans cette discipline de gros bras et une rareté dans le sport de haut niveau, où l’homosexualité est « particulièrement taboue » , comme le rappelle le rapport. Réagissant à la révélation de son ancien collègue, Tim Hardaway, vedette de la NBA dans les années 1990 et aujourd’hui salarié par la ligue, sort de ses gonds : « Je déteste les gays. Je ne les aime pas et je n’aime pas être près d’eux. Je suis homophobe. Cela ne devrait pas exister aux États-Unis ni même dans le monde. » Sous toutes les latitudes, au coeur de chaque strate de la société, l’internationale de la haine a encore de beaux jours devant elle.

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