Les pompiers pyromanes

Thomas Coutrot  • 19 mars 2009 abonné·es

Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a appelé « l’Irlande, et tous les pays de la zone euro, à réduire les salaires, afin de regagner en compétitivité, sans vivre au-dessus de leurs moyens » . En Suède, le syndicat de la métallurgie a négocié des baisses de salaire de 20 % en cas de chômage technique afin d’éviter des licenciements secs. En Lettonie, le gouvernement a imposé une baisse de 15 % des revenus de ses fonctionnaires pour obtenir le soutien du FMI et de l’UE, ce qui a provoqué de violentes manifestations et la chute du gouvernement. Sous perfusion internationale elle aussi, la Hongrie a supprimé le treizième mois dans la Fonction publique, et la Roumanie pourrait faire de même.

La BCE et le FMI, dirigé par le « socialiste » Strauss-Kahn, jettent de l’huile sur le feu de la déflation. Déjà, les prix ont baissé de 1,6 % sur un an en Chine, et l’inflation est égale à zéro aux États-Unis, au Japon et en Grande-Bretagne. En France, l’indice des prix a baissé six mois consécutifs au deuxième semestre 2008. La baisse des cours du pétrole et des matières premières, la chute de la demande et la hausse de l’épargne, la récession et la flambée du chômage tirent déjà naturellement les prix et les salaires vers le bas.

Mais le pire est qu’à ces pressions objectivement déflationnistes s’ajoutent des politiques publiques absurdes : on baisse les salaires des fonctionnaires, ou on diminue leur nombre (en France), au lieu de laisser la masse salariale du secteur public servir d’amortisseur à la dépression. Sans compter la malencontreuse baisse de la TVA (réalisée au Royaume-Uni ou annoncée sur l’hôtellerie-restauration en France), qui tire encore les prix vers le bas.

La déflation, c’est-à-dire une baisse générale et cumulative des prix et des salaires, est au coin de la rue. Il s’agit d’un cercle vicieux bien connu : les spéculateurs et les ménages, surendettés, réduisent investissements et consommation, accroissant leur épargne pour pouvoir rembourser leur dette. Mais la baisse des prix qui s’ensuit rend le désendettement de plus en plus difficile, car les revenus baissent alors que le montant des remboursements reste identique. D’où un effort supplémentaire de désendettement, et une nouvelle chute de l’activité, puis des prix.
Pourquoi la BCE et le FMI, qui ont montré un stupéfiant aveuglement en laissant l’inflation des actifs financiers gonfler la bulle sans limites jusqu’à son explosion actuelle, persistent-ils dans l’irresponsabilité en accélérant maintenant la déflation ? La bêtise et l’ignorance jouent peut-être, mais l’intérêt de classe sûrement. Il s’agit de faire payer aux salariés et aux (petits) contribuables la majeure partie de l’addition, même au prix d’une aggravation de la crise.

Pour éviter que l’Europe ne s’enfonce dans la déflation et la dépression, il faut non pas une juxtaposition de plans nationaux hétéroclites, rachitiques, voire contradictoires, mais une riposte européenne résolue. Cela passe par la montée en charge rapide d’un budget européen financé par une taxation des transactions financières ainsi que des patrimoines accumulés pendant la défunte période néolibérale. Ce budget ne servirait pas à financer des plans de sauvetage, mais des investissements coordonnés dans les économies d’énergie, les énergies renouvelables et les alternatives à l’automobile.

Car le sauvetage sur fonds publics des banques et des grandes entreprises est en train de faire exploser partout les déficits et la dette des États, annonçant une prochaine paralysie des politiques économiques. Le nécessaire sauvetage doit au contraire se faire à moindres frais pour les contribuables, c’est-à-dire en faisant porter l’effort sur les gros créanciers. La BCE pourrait ainsi obliger les banques à convertir une fraction importante de leurs dettes en titres obligataires, qui renforceraient leurs fonds propres et réduiraient leur endettement externe. En même temps, les pouvoirs publics (à l’échelle européenne, nationale et régionale) prendraient le contrôle des banques et favoriseraient une dynamique de contrôle social et démocratique sur leur fonctionnement. Cette Europe-là retrouverait rapidement sa légitimité auprès des citoyens.

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