Refusons le piège de la dette

Dominique Plihon  • 11 février 2010 abonné·es

La crise financière a été déclenchée en 2007 par le surendettement des ménages américains sur le marché immobilier des subprimes. Elle se poursuit en 2010 par les soubresauts du marché de la dette souveraine des États. Il y a là un scandale en forme de paradoxe : les dettes publiques ont enflé brutalement depuis deux ans à cause de la défaillance des marchés financiers et des banques, qui a conduit les États à financer des plans de sauvetage et de relance très coûteux. Aujourd’hui, ces mêmes marchés et leurs acteurs s’érigent en juges, alors qu’ils sont responsables de la crise et de la montée brutale des dettes publiques. Ils mènent des attaques spéculatives contre les pays les plus endettés, à commencer par la Grèce, demain le Portugal et l’Espagne, dont ils exigent des taux d’intérêt très élevés. Il faut en effet savoir que les dettes des pays développés sont souscrites à hauteur de 80 % par les investisseurs internationaux, ce qui met les États et l’avenir de la zone euro sous la coupe des marchés.

Aujourd’hui, le poids des États et de leurs finances publiques serait devenu d’un coup excessif et intolérable. Mis entre parenthèses au début de la crise, le Pacte de stabilité est sorti des oubliettes par la Commission européenne. La Grèce est ainsi placée sous étroite surveillance, avec l’obligation de ramener son déficit public de 13 % à 3 % du PIB d’ici à 2012. Le programme grec de stabilité prévoit, entre autres, de réduire les salaires et les effectifs dans la Fonction publique. Tous les pays de l’Union européenne sont sommés de s’ajuster. Le gouvernement français a promis à Bruxelles de maîtriser son déficit en ramenant la progression annuelle de ses dépenses publiques à 0,9 %, contre 2,25 % de 1997 à 2007, alors que le poids de la dette publique française, estimé à 76 % du PIB, doit être relativisé car il est inférieur à celui de nombreux pays (125 % aux États-Unis et 270 % au Japon).

La montée des dettes publiques et la menace d’attaques spéculatives vont être utilisées comme prétexte pour réduire les services publics et les systèmes de protection sociale. Les autorités françaises ont déjà commencé à engager les négociations sur la réforme des retraites en utilisant cet argument.

Les politiques d’ajustement qui se mettent en place sont économiquement inefficaces et socialement inacceptables. La réduction brutale des dépenses publiques va enrayer la fragile reprise de l’activité qui s’est manifestée ces derniers mois, ce qui va amplifier la hausse du chômage et… amener une nouvelle hausse des déficits publics. L’erreur du gouvernement Juppé à la suite de la récession de 1993 risque de se répéter. Ce dernier avait fait alors avorter la reprise par une politique de rigueur qui avait fait bondir la dette publique de 36 % du PIB en 1991 à 58 % en 1996 ! Le processus de crise sociale avec une montée des mouvements sociaux qui avait déstabilisé le gouvernement Juppé pourrait bien se reproduire demain en France, en Grèce et dans d’autres pays de l’Union européenne.

La maîtrise des finances publiques est évidemment nécessaire. Mais d’autres politiques sont possibles. Il faut taxer le capital et les banques responsables de la crise. La réduction des dépenses publiques doit frapper en priorité les dépenses antisociales. En commençant par supprimer toutes les niches fiscales (dont le bouclier fiscal) qui représentent un manque à gagner pour l’État de près de 70 milliards d’euros chaque année. Il faut également financer la dette publique par la création monétaire. Mais la Banque centrale européenne ne peut, par ses statuts actuels, financer directement la dette publique. Il faut alors imposer aux banques de la zone euro, comme cela a déjà été fait en France (1), de financer une partie de la dette publique, ce qui réduirait la dépendance des États à l’égard des marchés financiers. Une partie des ressources ainsi obtenues à faible coût par la création monétaire devrait servir à abonder un fonds européen. Il pourrait financer les pays européens en difficulté et les projets d’investissements à l’échelle européenne dans des domaines stratégiques tels que les énergies nouvelles, le ferroutage, etc. Des telles mesures permettraient à nos pays de sortir du piège dans lequel les politiques néolibérales les enferment.

(1) De 1948 à 1966, les banques françaises étaient contraintes de souscrire un montant plancher de titres de la dette publique.

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