L’itinéraire fou des sans-papiers

RESF  • 22 juillet 2010 abonné·es

« Je m’appelle Pervin, j’ai 31 ans. Je parle le turc et le kurde couramment, j’ai de bonnes notions de grec et de néerlandais, mes amis prétendent que je fais chaque jour des progrès en français.

Je suis native de Tatvan, au Kurdistan, en Turquie. Les habitants de cette ville pratiquent une religion sunnite qui n’est, selon moi, qu’une version fanatique de l’islam. Les filles portent le voile dès l’âge de 7 ans et, devenues femmes, sont soumises à l’autorité masculine du père, puis du mari. À l’âge de 15 ans, contre la somme de 3 000 euros, mon père m’a promise en mariage à un homme que je ne connaissais pas, de trente ans mon aîné, veuf et père de trois enfants. Refusant ce mariage, et bien qu’ayant été cloîtrée à la maison, je réussis à m’enfuir avec Husseyn, un ami de mon frère aîné, grâce à la complicité de celui-ci. J’ai rejoint Husseyn, alors qu’il sortait tout juste de huit années d’emprisonnement, en tant que militant du PKK. Il avait acheté deux billets de bus pour Erzurum (Anatolie orientale), où nous nous sommes réfugiés chez sa sœur, après un voyage de sept heures. Le lendemain matin, nous nous sommes mariés à la mairie, et je suis passée de l’autorité paternelle à celle de mon mari.

Quand mon père a appris notre union, il a exigé d’un de mes frères cadets qu’il parte à notre recherche pour nous tuer, afin de laver son honneur et celui de la famille. Nous avons donc dû quitter Erzurum, où nous n’étions pas en sécurité, recherchés à la fois par mon frère et par la police turque, à laquelle mon mari ne s’était pas présenté tous les jours, comme l’exige la loi relative aux ex-prisonniers politiques. Le PKK voulait nous faire quitter la Turquie pour nous envoyer combattre en Irak, en passant par la Grèce, la Roumanie, la Géorgie, l’Arménie et l’Iran.

Nous avons atteint Istanbul en bus : de là, un passeur nous a amenés de nuit et à pied jusqu’en Grèce. Il était quasiment impossible de passer tout seuls en Grèce. Il a d’abord fallu traverser le fleuve Méritch à gué. J’avais de l’eau jusqu’au menton, je ne sais pas nager, j’étais terrifiée. Puis, ce fut la traversée d’un champ de mines. J’ai cru longtemps que les Grecs, pour se protéger de l’immigration clandestine, avaient truffé de mines les rives du fleuve.

En Grèce, j’ai rencontré beaucoup de réfugiés qui avaient perdu une ou deux jambes. D’autres y ont même perdu la vie. On m’expliquera plus tard que ces mines datent de l’invasion par l’armée turque du nord de Chypre, en 1974. Moi, je pense que cette situation arrange bien la Grèce, que ça permet de limiter l’entrée de migrants par cette frontière. Finalement, nous ne sommes pas allés combattre en Irak : mon mari a décidé dans un premier temps de rester en Grèce, où est né mon premier fils. Plus tard, il est parti en Hollande, où je l’ai rejoint en bateau et en train. Mais j’ai ensuite dû fuir la violence d’Husseyn. Avec mes deux fils, âgés de 8 ans et de 2 ans, je suis montée dans un bus en partance pour l’Allemagne, puis dans un autre pour Paris. Je suis arrivée à Paris le 26 septembre 2007 à 5 heures du matin, avec mes deux enfants. Ma valise avait disparu durant le voyage. J’avais 200 euros sur moi, aucun papier d’identité et je ne connaissais absolument personne. »

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Voyager sans avion
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