L’exploitation, c’est pas du jeu

Une ONG de Hong-Kong a enquêté chez les sous-traitants chinois de deux géants mondiaux du jouet. Ses conclusions sont accablantes, mais elles ne suscitent guère de réactions chez les donneurs d’ordres.

Thierry Brun  • 16 décembre 2010 abonné·es
L’exploitation, c’est pas du jeu
© Photo : Wang Kai Shsh / Imagechina

Où naissent Buzz l’Éclair, Cars, Nemo et la pléthore de jouets électroniques et d’animaux en peluche vendus par Disney ? Réponse : en enfer. Plus de 80 % de ces jouets sont fabriqués en Chine, dans des conditions de production qui bafouent les droits de l’homme et des travailleurs. Ainsi, les peluches, comme la grande majorité des jouets fabriqués par les sous-traitants de Disney et de Walmart, sont produites dans des ateliers où chaque jour se déroulent des drames cachés, comme en témoigne l’ONG chinoise Sacom [^2], installée à Hong-Kong, qui a mené discrètement l’enquête. Mais ses conclusions alarmantes n’inquiètent en rien Disney et Walmart : les firmes s’abritent derrière le paravent de la certification délivrée par la Fédération internationale des industries du jouet, qui assure que les usines fonctionnent « dans la légalité et dans de parfaites conditions d’hygiène et de sécurité » .

Le réseau d’étudiants et d’univer­sitaires de la Sacom, partenaire de l’ONG de solidarité internationale Peuples solidaires [^3], a présenté récemment en France un rapport d’enquêtes menées pendant six mois dans deux importantes usines des deux géants mondiaux de la distribution et du divertissement : Sunny Toys, située à Shenzen, dans la province de Guangdong (sud-est de la Chine), et Dongguan Crown-Ace Toys, à Dongguan, dans la même province. Les résultats de ces enquêtes montrent que les violations des droits sociaux des travailleurs des sous-traitants chinois y sont la règle. « Tant que les entreprises donneuses d’ordres continueront à imposer à leurs fournisseurs chinois des coûts toujours plus bas et des délais toujours plus courts, aucune amélioration réelle ne sera possible » , regrette Debby Chan, une des responsables de la Sacom, qui rappelle qu’une quinzaine d’enquêtes ont été menées depuis 2005, date de création de l’ONG. « Tous les ans, la Sacom continue de mettre en lumière des violations des droits fondamentaux des travailleurs chez des sous-traitants de Disney et de Walmart, et dans des usines certifiées par la Fédération internationale de l’industrie du jouet. »

« Les résultats sont édifiants , souligne Debby Chan. Les ouvriers travaillent près de douze heures par jour et sont contraints de faire des heures supplémentaires, compte tenu des objectifs élevés de production et du niveau des salaires. Dans le pire des cas, ils travaillent jusqu’à 4 heures du matin et recommencent à 8 heures du matin. Le salaire de base correspond au salaire minimum de la ville. Chez Sunny Toys, le salaire est de 1 100 yuans par mois [environ 110 euros, NDLR] ; dans l’autre usine, c’est 1 040 yuans. La plupart du temps, les salaires sont versés avec un mois de retard. » En ce qui concerne la santé des salariés, « il n’y a pas d’équipement adapté aux travailleurs. Par exemple, dans le département de remplissage des peluches, il n’y a pas de masques ni de gants de protection, ce qui fait que les mains peuvent être brûlées par des machines. On a aussi découvert que les deux usines n’emploient plus que des jeunes femmes, car celles-ci sont plus facilement exploitables » .

Ces enquêtes ont été adressées à la Fédération internationale des industries du jouet, mais « ni Walmart ni Disney n’ont daigné répondre aux conclusions de notre rapport » , relève Debby Chan. Combien de salariés travaillent-ils dans de telles usines en Chine ? Debby Chan répond que les chiffres ne sont officiellement pas communiqués par les très laxistes autorités chinoises. Ils seraient entre 2 et 4 millions à travailler dans des milliers d’usines pour fabriquer les jouets tant attendus sous le sapin de Noël par les petits Occidentaux.

[^2]: Students and scholars against corporate misbehavior (Association des étudiants et universitaires contre la mauvaise conduite des entreprises).

[^3]: Peuples solidaires et la Sacom sont engagées dans la campagne internationale « Ce n’est pas du jeu ! », qui réclame des conditions de travail décentes dans l’industrie du jouet. Consulter le site : www.peuples-solidaires.org

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