Les Africaines prennent la relève

Au Rwanda, au Burundi, au Tchad et en Côte d’Ivoire, portraits de femmes qui font avancer la démocratie, la paix et l’égalité, dans la droite ligne des pionniers de l’émancipation.

Patrick Piro  et  Jennifer Austruy  • 3 février 2011
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On connaissait les ancêtres : ceux qui ont tenté d’émanciper l’Afrique du colonialisme ou qui ont osé des expérimentations politiques et sociales, payant parfois leurs actes de leur vie, tels Patrice Lumumba, assassiné au Katanga en 1961, Amilcar Cabral, assassiné en 1973, Thomas Sankara, assassiné en 1987… Il y a désormais leurs héritiers, ou plutôt héritières, issues des mouvements divers et variées qui reprennent vie. On en connaît certaines : la Malienne Aminata Traoré ou la Kenyane Wangari Maathai, prix Nobel de la Paix. De nouvelles têtes émergent.

Au Rwanda, il faut du courage pour bâtir l’avenir en affrontant le passé. Il faut aussi de l’imagination. Jacqueline Uwimana ne manque ni de l’un ni de l’autre. Éducatrice, elle fonde il y a dix ans l’association Umuseke (« aurore »), et se glisse dans les fissures d’une société traumatisée. Depuis, les écoles la réclament. 37 000 enfants et 1 000 enseignants sont passés par son programme « d’éducation à la paix ». Umuseke apprend à ses jeunes élèves à porter un regard critique sur la guerre, les rumeurs, les effets de masse. Objectif : éradiquer la logique qui conduisit au génocide de 1994. Totalement dévouée à son action, pugnace, fine observatrice du monde rwandais, cette quinquagénaire a choisi une voie équilibriste dans ce pays où la société civile est assignée à la prudence. Les traumatismes du passé sont encore à fleur de peau. Former les enfants à questionner l’héritage des aînés, quand on attend d’eux la soumission, n’est-ce pas cela, construire l’avenir ? Ces citoyens en herbe rouvrent les chemins bouchés du dialogue, et donnent l’exemple aux adultes. Il est même question que le cursus scolaire national ­intègre le programme d’Umuseke.

Rapiécer la société burundaise, déchirée par les tensions interethniques et le souvenir des massacres : tel est l’ouvrage auquel s’est attelée Sophie Havyarimana. Cette femme discrète et brillante est à la tête de l’association Acord (Agence de coopération et de recherche en développement). Souveraineté alimentaire, promotion des femmes, réconciliation, lutte contre le VIH… Autant de fils qui servent à raccommoder les populations. Et autant d’enjeux cruciaux pour le pays. L’originalité tient surtout à une méthode : travailler avec les associations communautaires de base. Renforcées, elles deviennent actrices du développement local et contribuent au processus de réconciliation. La vie s’améliore, de nouveaux liens se créent. Aussi à l’aise sur le terrain qu’en débat avec des ministres, Sophie Havyarimana invite les partis politiques à coélaborer un projet de société pour le Burundi de demain. Son action témoigne d’une vraie vision stratégique pour son pays, dont elle est devenue une personnalité écoutée.

Delphine Djiraibe est tchadienne, avocate et pionnière de la défense des droits humains. Autant de critères qui lui ont valu de ­connaître l’exil. Elle revient dans son pays natal en 1990 lors de l’accession au pouvoir d’Idriss Déby, juste avant la conférence nationale souveraine de 1993, supposée instaurer la démocratie et mettre en place un État de droit. L’avocate assure alors la médiation entre le gouvernement et les mouvements dits rebelles. En 2002, elle devient la première présidente de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (ATPDH) et coordonne près de 200 organisations et syndicats locaux. Constatant l’échec de la conférence nationale, l’ATPDH expérimente des formes de démocratie participative. Delphine Djiraibe est devenue une interlocutrice majeure pour les décideurs du monde entier sans pour autant oublier son rôle de porte-parole de la société civile.

Elle avait à peine 19 ans qu’elle se consacrait déjà aux enfants diabétiques. Solange Koné, assistante sociale, se bat sans relâche pour les autres. Pour les femmes d’abord, pour qu’elles deviennent économiquement indépendantes. Pour tous ses concitoyens ensuite, en demandant l’annulation de la dette de son pays. Et ce dans un contexte difficile : la Côte d’Ivoire. Lors de la guerre civile qui sépare Nord et Sud, elle n’hésite pas à amener les membres d’une ONG en zone rebelle pour soigner les civils blessés pendant les affrontements. Puis elle participe à la création du Forum international des femmes pour la paix, l’égalité et le développement. Pour Solange Koné, seule l’action collective garantit la réussite.

Publié dans le dossier
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