Une cruelle inaction internationale

La famine s’étend en raison des conflits et des changements climatiques. Mais la crise alimentaire mondiale s’explique aussi par la volatilité des prix et l’absence de décisions politiques.

Claude-Marie Vadrot  • 14 juillet 2011 abonné·es

Mark Bowden, coordinateur de l’ONU pour l’action humanitaire en Somalie, a récemment averti que la Corne de l’Afrique pourrait connaître la pire crise alimentaire de ces vingt dernières années. En cause, les désordres politiques qui transforment nombre de paysans et de pêcheurs en « pirates » ou les obligent à quitter le pays. S’ajoutent les effets d’une sécheresse liée aux modifications climatiques, à la hausse du prix des denrées sur les marchés mondiaux et à la pression des firmes multinationales pour l’achat de terres agricoles.

L’Union européenne et le G20 misent sur Doha Droit dans le mur ! C’est ce qui risque de se passer lors du G20 prévu à Cannes en novembre. Le G20 agricole et le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement qui se sont tenus en juin ont poussé à la poursuite de la libéralisation des échanges, notamment agricoles, et écartent toute idée de souveraineté alimentaire au niveau mondial. Le G20 agricole a fortement recommandé de conclure le cycle de négociations dit « de Doha », censé s’achever en fin d’année au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en tablant sur l’ « augmentation significative de la productivité agricole » , avec notamment la concentration des efforts de recherche « sur le génome du blé ». « Il s’agit ainsi de favoriser les intérêts de l’agro-industrie et des multinationales d’OGM au détriment de l’autonomie des paysans » , estime Attac France. De son côté, le Conseil européen s’est dit déterminé « à faire avancer le processus de libéralisation des échanges » dans le cadre des négociations de Doha, entamées en 2001 à l’OMC et qui ont échoué en 2006 et 2008 sur les questions agricoles, à la suite d’un bras de fer entre pays riches et pays pauvres. La FAO et le mouvement altermondialiste dénoncent l’ouverture des marchés agricoles, qui empêche les pays pauvres d’accéder à la souveraineté alimentaire. T. B.
L’élevage et l’agriculture sont en perdition en Somalie, dont le PIB est évalué, en l’absence de statistiques fiables, à moins d’un milliard d’euros par an. Les affrontements entre des bandes rivales et un pouvoir qui contrôle à peine Mogadiscio, la capitale, empêchent l’arrivée des secours alimentaires, alors que la directrice exécutive du Plan alimentaire mondial (PAM), l’Américaine Josette Sheeran, estimait en avril dernier à 5 millions le nombre de personnes en danger dans cette région. Une récente réévaluation fait état de 10 millions de personnes en péril en Somalie, à Djibouti, en Érythrée et en Éthiopie, dont plus de la moitié du territoire n’a pas reçu une goutte de pluie depuis deux ans. Il faut ajouter 4 millions de Kenyans affamés par la sécheresse. Cette situation touche également le bétail : dans le sud de l’Éthiopie, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a signalé la mort de plus de 200 000 animaux.


Avec le Soudan et l’Ouganda, le nombre des habitants d’Afrique de l’Est souffrant de la faim atteint au moins 24 millions. La FAO a estimé que près d’un milliard d’humains souffrent de la faim dans le monde. Plus de 250 millions se trouvent en Afrique et 600 millions essentiellement en Asie et dans la zone Pacifique. L’Organisation mondiale de la santé a rappelé il y a peu que la faim tue plus que le sida, le paludisme et la tuberculose réunis.


Au Sud-Soudan, qui vient de célébrer sa naissance comme État indépendant, la situation alimentaire n’est pas plus brillante que dans les pays voisins. La guerre, qui a duré vingt-deux ans, a laissé l’agriculture, l’approvisionnement en eau et les routes en piteux état. Les récents relevés effectués par satellite pour le compte de la FAO font apparaître que seuls 5 % de la surface cultivable de ce pays grand comme la France ont retrouvé une activité agricole. Les raisons de la sous-alimentation des 9 millions d’habitants viennent en grande partie du fait que 10 % des terres ont déjà été louées à des firmes étrangères, notamment chinoises et américaines. La Nile Trading & Development Cie, sise à Dallas, vient de prendre le contrôle d’un million d’hectares pour la somme ridicule de 20 000 euros par an ! Avec le droit d’y faire ce qu’elle veut, y compris d’y développer la production intensive d’agrocarburants.

Ruée sur les agrocarburants, flambée de la spéculation sur les denrées de base et hausses effrénées des prix agricoles participent largement à la crise alimentaire mondiale depuis 2007. Or, les pays les plus puissants de la planète regardent ailleurs : lors du dernier G20 agricole, « loin de prendre les décisions majeures qui s’imposent, les ministres  [de l’Agriculture] ont repoussé à d’autres échéances la plupart de leurs décisions, à l’exception de celles favorisant les intérêts des entreprises agro-industrielles et des acteurs financiers », a souligné la Coordination SUD, qui regroupe les ONG françaises de solidarité internationale.


Le PAM évalue à 24 millions le nombre supplémentaire d’enfants touchés par la faim dans le monde d’ici à 2050. Par ailleurs, 7 millions d’Afghans sont touchés par l’insécurité alimentaire, pour lesquels le PAM réclame en vain 260 millions de dollars. Sans oublier Haïti et le Niger, frappés par la sécheresse, ainsi que la Côte d’Ivoire et les pays limitrophes, où sont les camps de réfugiés ouverts par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).
Son patron, António Guterres, a réclamé d’urgence, le 8 juillet, une dotation supplémentaire de 136 millions de dollars pour les réfugiés somaliens qui affluent sur le territoire éthiopien : « C’est la pire tragédie humanitaire de cette année. Nos cœurs se brisent lorsque des mères nous racontent qu’après avoir marché des jours, elles voient leurs enfants mourir en chemin. Les médecins ne peuvent les aider car il est trop tard.   »

Le HCR doit nourrir plus de 10 millions de réfugiés, parmi lesquels le nombre des victimes du climat augmente chaque année. Il faut ajouter 15 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays. Les conditions climatiques et la « guerre de basse intensité » ont entraîné le déplacement interne de 2,6 millions d’habitants au Darfour, sans compter 250 000 réfugiés installés dans des camps en territoire tchadien.
Manque de volonté politique, donc manque de moyens octroyés aux organisations qui jouent les pompiers de la famine… Le milliard de dollars de denrées alimentaires achetées par le PAM en 2010 pour les plus démunis ne constitue dès lors qu’une goutte d’eau dans la misère du monde.

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Un milliard de crève-la-faim
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