Accords de Schengen : Sarkozy n’invente rien

La position sur Schengen du président-candidat Nicolas Sarkozy, dimanche 11 mars à Villepinte, interprétée partout comme un « bombe », s’inscrit en fait dans une logique de détricotage déjà entamé de ces accords.

Erwan Manac'h  • 12 mars 2012
Partager :
Accords de Schengen : Sarkozy n’invente rien
© Photo : AFP

Illustration - Accords de Schengen : Sarkozy n'invente rien

« Les accords* [de libre circulation] de Schengen doivent être révisés » . Au cours de son meeting** à Villepinte, Nicolas Sarkozy a promis d’exiger une réforme des accords de Schengen sur la circulation des personnes et des « progrès sérieux » dans le contrôle de l’immigration, dans les douze mois, sous peine de « suspendre [la] participation » de la France au dispositif. « Il faut un gouvernement politique de Schengen » , que l’on puisse « exclure de cet espace un État défaillant » , ajoute le candidat à sa propre succession. Une réforme « absolument immense » qui est pourtant déjà dans les tuyaux communautaires.

Des entorses à la libre circulation ont ainsi été proposées par la Commission européenne en mai 2011, après trois mois de polémique entre la France et l’Italie sur le sort des migrants Nord-africain arrivés sur l’île italienne de Lampedusa, suite à la chute du régime de Ben Ali en Tunisie et la répression aux frontières qui en a suivi. Des contrôles aux frontières intérieures de l’Europe, rétablis de manière prolongée en cas de mouvement migratoire « fort » et « inattendu » sont en particulier en cours de négociation. Mesure intégrée au « mécanisme d’évaluation de Schengen » que la Commission a proposé de réformer après la discorde franco-italienne.

Trois questions à Jean-François Ploquin, directeur général de l’association Forum réfugiés qui milite pour l’accueil des réfugiés et la défense du droit d’asile :

En demandant la révision des accords de Schengen, Nicolas Sarkozy s’inscrit dans une controverse déjà ancienne…

Oui, c’est une idée qui est dans l’air depuis un certain temps. Il s’agit de voir dans quelles conditions l’application de l’accord peut être suspendu entre deux pays dans des cas exceptionnels. Pour le moment, la commission n’est pas arrivée à une version de l’accord qui satisfasse tout le monde.

Il y a eu un jeu assez malsain entre l’Italie et la France. L’Italie se contentait de jouer le rôle d’État de transit, en constatant l’arrivée sur son sol des migrants et en leur donnant des droits de circulation pour qu’ils ne restent pas sur son sol. D’un autre côté, la France refusait d’appliquer les accords de Schengen qui l’obligeaient à laisser entrer sur son sol des personnes qui remplissaient les conditions nécessaires. La sauce est brièvement montée entre les deux pays et puis les choses se sont aplanies, car on était sur un nombre de migrants relativement faible. Ils jouaient avec un règlement qui concerne 25 personnes. Mais les deux chefs d’État ont surtout montré leurs muscles.

En matière commerciale, Nicolas Sarkozy fait aussi beaucoup d'esbroufe. Dimanche à Villepinte, il a promis un « Buy european act » sur le modèle américain, donnant la priorité aux entreprises européennes dans l'attribution des marchés publics. Or, là aussi, des travaux sont en cours à la Commission pour que la réciprocité soit désormais demandée aux pays qui commercent avec l'Europe, ouvrant en retour un accès à leurs marchés publics pour les entreprises européennes.
Que pensez-vous de cette remise en question de la libre circulation ?

Nous souhaitons insister sur la nécessité de respecter le droit d’asile. Le pendant de la libre circulation dans l’espace Schengen, c’est la fermeture des frontières extérieures. Elle est compréhensible et se pratique d’ailleurs dans tous les pays du monde, mais la contrepartie de ce contrôle, c’est que les personnes qui tentent de rentrer en Europe en invoquant des persécutions et en demandant la protection internationale soient acceptées.

Les personnes en danger, qui fuient un péril grave, doivent pouvoir continuer à rentrer dans l’espace Schengen pour demander l’asile. C’est un élément de droit fondamental. Qui n’est pas frontalement remis en question, d’ailleurs. Simplement, lorsqu’il y a des opérations sur les frontières, il faut que ce droit soit respecté.

La libre circulation est aussi un pilier de la construction européenne.

Oui, c’est pour cela qu’il faut faire la part entre ce qui relève d’un propos de campagne et la volonté plus durable de faire évoluer le système Schengen. Pour modifier les accords de Schengen, il faut l’accord des 25 pays signataires. Tous les pays n’ont pas les mêmes intérêts. Ce sera forcément un texte de compromis, ce qui explique que le dossier n’évolue pas.

Il faut aussi rappeler que la libre circulation s’applique en premier lieu aux 300 millions de citoyens des 25 pays membres de l’espace Schengen, qui sont ravis de pouvoir circuler entre les pays. Personne n’imagine une seconde qu’on puisse revenir là-dessus. Ensuite, si on est sur des aménagements dus à des situations exceptionnelles, cela relève de négociations à 25.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Aux États-Unis, l’habit fait le trumpiste
Analyse 12 décembre 2025 abonné·es

Aux États-Unis, l’habit fait le trumpiste

Entre exaltation d’une féminité à l’ancienne, nostalgie d’une Amérique fantasmée et stratégies médiatiques, l’esthétique vestimentaire se transforme en arme politique au service du courant Maga. Les conservateurs s’en prennent jusqu’à la couleur rose d’un pull pour hommes.
Par Juliette Heinzlef
Naturalisation : des Palestiniens sous pression de la DGSI
Enquête 11 décembre 2025 abonné·es

Naturalisation : des Palestiniens sous pression de la DGSI

Convoqués par la Direction générale de la sécurité intérieure alors qu’ils demandaient la nationalité française, trois Palestiniens racontent les entretiens durant lesquels on leur a suggéré de fournir aux Renseignements des informations sur le mouvement associatif palestinien.
Par Pauline Migevant
« La surveillance des Palestiniens en Europe est très répandue »
Entretien 11 décembre 2025

« La surveillance des Palestiniens en Europe est très répandue »

En Europe, les Palestiniens sont de plus en plus ciblés par les surveillances numériques ou les fermetures de comptes bancaires. Layla Kattermann, responsable de la veille pour l’European Legal Support Center, revient sur ce standard européen de surveillance.
Par William Jean
Budget de la Sécu adopté : grâce aux socialistes, Lecornu évite le crash politique
Décryptage 9 décembre 2025 abonné·es

Budget de la Sécu adopté : grâce aux socialistes, Lecornu évite le crash politique

Après des semaines de négociations, le premier ministre franchit, de peu, le mur parlementaire. Le « moine soldat » de la Macronie doit désormais gravir la montagne du budget de l’État.
Par Lucas Sarafian