Pour ou contre l’implantation d’un troisième site Amazon en France ?

L’implantation d’un troisième site français du géant de la vente de livres en ligne, près de Chalon-sur-Saône, avec son millier d’emplois annoncé, a suscité la satisfaction du gouvernement. Mais est-ce vraiment un cadeau ?

Olivier Doubre  • 5 juillet 2012 abonné·es

Illustration - Pour ou contre l'implantation d'un troisième site Amazon en France ?

Amazon cherchait un troisième site d’implantation en France, alors que tous les territoires de l’Hexagone sont confrontés au chômage. Aussi, lorsqu’une entreprise de cette taille choisit un territoire comme celui de Chalon-sur-Saône, c’est bien évidemment important du point de vue du nombre d’emplois proposés, mais aussi pour la dynamique et le développement de ce territoire. Nous sommes donc très heureux du choix d’Amazon de venir s’implanter chez nous.


Il y a aujourd’hui une montée en puissance très grande de ce que l’on appelle l’e-commerce, c’est une donnée. On peut considérer pour de nombreuses raisons que c’est regrettable, mais c’est une donnée. Et c’est d’abord un choix des consommateurs, qu’il faut entendre et respecter. Je pense qu’il y a de la place et pour l’activité d’Amazon, et pour l’activité des libraires. À titre personnel, j’achète plutôt mes livres chez un libraire chalonnais, parce que j’y trouve un conseil, un contact aussi, des qualités qui n’existent pas en ligne. Mais je pense que ceux qui achètent leurs livres en ligne, sur des sites comme Amazon, et ceux qui font confiance à leur libraire local ne sont pas les mêmes consommateurs. Par ailleurs, je pense que travailler, sans doute au niveau national — et c’est un engagement du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg — à la réalisation d’une synergie entre ce qui est fait par Amazon et le secteur des librairies est une piste qui mérite d’être approfondie.


Chalon-sur-Saône et son agglomération ont vécu un épisode particulier avec la disparition de la société Kodak en 2006 — et ses 3 000 emplois. Nous avons alors été classés en « zone de revitalisation » et, à ce titre, pouvons bénéficier, dans le cadre des aides européennes, d’accompagnement pour les implantations d’entreprises. Nous le faisons pour des PME et des PMI, nous le faisons aussi pour l’implantation d’Amazon au travers des interventions de l’État, de la Région ou du département, ou également de la communauté d’agglomération de Chalon-sur-Saône. Cela dans le respect des règles communautaires, et uniquement pour les emplois qui sont en CDI. C’est, certes, important, mais je ne suis vraiment pas certain que ce soit là le seul élément qui détermine l’implantation de ce type d’entreprise. Amazon n’a jamais donné le nombre exact d’emplois en CDI créés, mais si l’on regarde la situation des deux autres sites en France, Montélimar et Orléans, on peut imaginer qu’à Chalon-sur-Saône ce serait entre 300 et 350 CDI. Dans le contexte d’un nombre élevé de demandeurs d’emploi, 300 à 350 CDI, c’est déjà une très bonne nouvelle. Et je ne vois pas en quoi ce serait une mauvaise nouvelle d’avoir — en outre — près d’un millier de CDD et d’intérimaires dès le mois de novembre prochain.
Quant à la politique sociale de l’entreprise — sur laquelle il faut évidemment être vigilant –, je n’ai pas entendu dire que dans les deux autres sites, il y ait une situation sociale catastrophique.


Je pense donc qu’il faut se réjouir de ces créations d’emplois et continuer à travailler pour que des commerces de centre-ville, et notamment des librairies, puissent avoir également leur place et développer leur activité. Une vraie politique culturelle aujourd’hui, c’est l’addition de tout cela, avec des choix de consommation multiples, sur lesquels on peut porter les jugements que l’on veut, mais qui existent et dont il faut tenir compte.

Illustration - Pour ou contre l'implantation d'un troisième site Amazon en France ?

Après l’annonce de cette implantation d’Amazon à Chalon-sur-Saône, nous tenons à rappeler que, dans le secteur de la culture et du livre, ceux qui créent de l’emploi, ce n’est pas Amazon, mais plutôt les libraires : nous avons calculé que la librairie en France génère, à chiffre d’affaires équivalent, 18 fois plus d’emplois que la vente en ligne sur Internet. L’ouverture d’une plateforme d’Amazon a été accompagnée d’un vaste plan de communication. Mais Amazon n’a jamais dit clairement combien d’emplois permanents seraient réellement créés. On parle d’un millier mais, parmi ceux-ci, beaucoup seraient des emplois précaires d’intérimaires auxquels Amazon ferait appel durant le pic d’activité de Noël.
En effet, ce que l’on sait pour les autres sites d’Amazon en France, ce sont à peine 1 000 emplois pérennes, quand ils en annoncent 4 000 en tout ! Lorsqu’Amazon parle d’un millier d’emplois, il faut en fait lire entre 150 et 200. Ce n’est certes pas négligeable, mais il faut le comparer aux 20 000 à 25 000 emplois permanents que représente la librairie en France. Ce sont là à peu près les ordres de grandeur.


Ensuite, on a beaucoup entendu dire que ces créations d’emplois par Amazon allaient être utiles à l’économie locale et nationale. Allons alors jusqu’au bout de cette logique : qu’Amazon paye des impôts qui correspondent au chiffre d’affaires de ses activités réalisées en France (et non au Luxembourg, où elle est implantée pour l’Europe) ! Les libraires, eux, payent leurs impôts en France, à commencer par la TVA ; ce n’est pas le cas d’Amazon. Ne faisons donc pas autant d’autosatisfaction par rapport à un acteur qui ne paye pas ses impôts en France. Sa concurrence, sur ce point, n’est pas très loyale puisqu’il est moins fiscalisé que ses concurrents : le Sénat, dans un rapport récent, a bien montré que, pour un chiffre d’affaires de 930 millions d’euros, Amazon ne déclare en France que 25 millions d’euros. Ce sont donc 905 millions d’euros qui ne sont pas fiscalisés en France !


Par rapport à la politique du livre, Amazon exerce une pression très forte sur de nombreux éditeurs pour qu’ils mettent quasiment en dépôt leurs productions dans ses entrepôts, ce qui lui permet non seulement de livrer plus rapidement ses clients mais surtout de ne payer les éditeurs que s’il y a vente du livre, alors que les libraires, eux, paient d’avance. De notre côté, nous travaillons avec les éditeurs pour que les clients des librairies puissent recevoir, quand ils les commandent, les livres aussi vite que lorsqu’ils les commandent sur Amazon.
Les libraires utilisent de plus en plus Internet et ne l’opposent pas à la diffusion physique. Néanmoins, le développement des ventes sur Internet se fait aujourd’hui en large partie au détriment des libraires, ce qui peut détruire des emplois en librairies, qui sont aussi des acteurs de proximité. Les meilleurs clients sur Internet sont généralement les plus gros lecteurs, qui, du coup, achètent moins en librairie.


Nous appelons donc ces clients à se mobiliser et à comprendre qu’acheter un livre en librairie, c’est aussi défendre une économie locale, une certaine vision de la vie de leur quartier, de leur commune et de la société au sens large au sein de laquelle la relation humaine ne peut pas se dématérialiser. Que l’on achète en librairie ou sur Internet, le prix est le même grâce à la loi sur le prix unique du livre. Donc autant soutenir les emplois et la convivialité qu’incarnent les libraires.
En revanche, Amazon, grâce à son énorme capitalisation boursière, a les moyens de perdre de l’argent en offrant les frais de livraison des livres dès le premier euro d’achat, ce que ne peuvent évidemment pas se permettre les librairies indépendantes…

Clivages
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