Pour un féminisme anticolonial

Martine Storti dénonce l’utilisation de l’égalité hommes-femmes comme cheval de Troie d’une revendication identitaire. Manquant parfois de nuances.

Olivier Doubre  • 16 mars 2016 abonné·es
Pour un féminisme anticolonial
© **Sortir du manichéisme. Des roses et du chocolat**, Martine Storti, Éd. Michel de Maule, 152 p., 17 euros. Photo : DOMINIQUE FAGET / AFP

Féministe, longtemps journaliste à Libération, où elle suivait le MLF, Martine Storti construit dans Sortir du manichéisme. Des roses et du chocolat une réflexion sur les crispations identitaires qui lacèrent depuis des années la société française, mais aussi le mouvement féministe. Disons-le d’emblée : on ne partage pas l’ensemble de ses positions, mais il faut reconnaître à l’auteure sa volonté de dépasser les affrontements dogmatiques reposant sur les concurrences identitaires ou l’opposition entre social et sociétal. Pour « réhabiliter l’émancipation, restaurer le collectif, retrouver l’universel », dans la fidélité aux principes d’une gauche ne craignant pas d’affronter le présent. D’où son rappel des revendications des ouvrières au début du XXe siècle – « du pain et des roses » – ou (par goût personnel) « des roses et du chocolat », allégorie de son refus d’avoir à choisir entre différents droits à conquérir, au contraire de « ceux qui s’autorisent du peuple pour mieux lui refuser les roses »

Alors qu’elle achève ce livre, Martine Storti apprend les agressions sexuelles à Cologne, durant la Saint-Sylvestre, de centaines de femmes par des hommes, la plupart supposés migrants maghrébins, et se voit confrontée à de nouvelles « oppositions paresseuses ». En gros, sexisme versus racisme. Elle se souvient alors, dans les années 1980, de « [son] étonnement face à la rapidité avec laquelle s’imposa le questionnement sur l’identité française », lancé d’abord par le Front national, très vite repris par une grande partie de la droite. Bientôt, la brochette de nos « néo-réacs » médiatiques – Alain Finkielkraut, Renaud Camus ou Éric Zemmour – s’en empare, défendant une « sorte de nationalo-féminisme », et « officialise un affrontement qui prend les femmes comme objets et otages ». L’émancipation des femmes est présentée comme une « composante » de notre identité occidentale, contre des « barbares » venus d’outre-mer (Méditerranée en premier lieu).

Prêtant davantage à caution, Martine Storti dénonce alors les positions en retour des « tenants du postcolonialisme ou du “décolonial”, qui ne cessent de répéter que […] l’égalité et la liberté des femmes ne sont que les instruments du racisme, de l’islamophobie, de la frontière entre “eux” et “nous” »… Certes, l’auteure peut à bon droit reprocher à certain(e)s militant(e)s postcolonialistes de voir dans le féminisme un « produit importé, occidental » et, au-delà, une question « secondaire », comme jadis certains marxistes affirmaient que ce combat devrait attendre la victoire du prolétariat. Mais on regrettera qu’en pointant les limites d’un antiracisme taisant parfois le sexisme au sein des populations racisées elle en vienne à accepter la loi discriminatoire interdisant le voile à l’école. Même si Martine Storti admet qu’il puisse être porté sans contrainte, elle ne parvient pas à dépasser son appréhension personnelle de ce signe supposé religieux, quand c’est la question de la légitimité d’une telle législation qui est posée… Cependant, au-delà des désaccords, le livre a le mérite d’analyser les dérives « identitaristes » dans notre société. Et d’ouvrir au débat.

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Dissolution d’Urgence Palestine : face aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, la France botte en touche
Répression 28 novembre 2025

Dissolution d’Urgence Palestine : face aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, la France botte en touche

Fin septembre, le gouvernement français a été interpellé par quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les atteintes aux droits humains qu’entraînerait la dissolution d’Urgence Palestine. Politis a pu consulter la réponse du gouvernement, qui évacue les questions, arguant que la procédure est toujours en cours.
Par Pauline Migevant
« Je ne veux pas être déportée » : au CRA d’Oissel, la mécanique de l’enfermement
Reportage 27 novembre 2025 abonné·es

« Je ne veux pas être déportée » : au CRA d’Oissel, la mécanique de l’enfermement

Si le centre de rétention administrative (CRA) d’Oissel-sur-Seine, situé en pleine forêt, n’existe pas dans la tête des gens habitant aux alentours, l’enfermement mental et physique est total pour les femmes et les hommes qui y sont retenus. Politis a pu y rentrer et recueillir leurs témoignages.
Par Pauline Migevant
« À Paris, les manifs pour la Palestine doivent être à la hauteur des autres capitales européennes »
La Midinale 26 novembre 2025

« À Paris, les manifs pour la Palestine doivent être à la hauteur des autres capitales européennes »

Anne Tuaillon, présidente de l’association France Palestine Solidarité, est l’invitée de « La Midinale ». Ce samedi 29 novembre, 85 organisations dont LFI, le PS, le PCF, les Écologistes, la CGT et beaucoup d’autres, organisent une grande mobilisation pour la défense des droits du peuple palestinien sur la base du droit international.
Par Pablo Pillaud-Vivien
L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses
Décryptage 25 novembre 2025

L’affaire Tran, exemple malheureux d’une justice à deux vitesses

112 plaignantes, 1 gynécologue… et 11 ans d’instruction. En 2027, le docteur Tran sera jugé pour de multiples viols et agressions sexuelles. Plaintes ignorées, victimes oubliées, délais rallongés… Cette affaire témoigne de toutes les lacunes de la justice en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Par Salomé Dionisi