Pourquoi il faut voter la censure

Michel Soudais  • 12 mai 2016
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Pourquoi il faut voter la censure
© Photo: SIMON GUILLEMIN / HANS LUCAS

L’Assemblée nationale débat cet après-midi à partir de 16h d’une motion de censure contre le gouvernement, dans un climat tendu dans la rue comme au PS. À l’appel des sept syndicats opposés au texte, des manifestations sont organisées un peu partout, notamment à Paris où le cortège doit rejoindre en milieu d’après-midi les Invalides, tout près du Palais-Bourbon.

Après avoir échoué à déposer leur propre motion de censure, les 56 signataires opposants de gauche au projet de loi Travail sont divisés sur l’opportunité de voter ou non la motion présentée par les groupes LR et UDI. Les députés Front de gauche ont fait savoir qu’ils la voteraient. Les porte-parole des « frondeurs » du PS l’excluent, les écologistes également, pour ne pas mêler leurs voix à la droite.

LIRE > La gauche échoue de peu à déposer une motion de censure

Ces pudeurs n’ont pas lieu d’être. Les caciques du PS, singulièrement les proches de Manuel Valls et le dernier carré des Hollandistes, n’avaient pas ces scrupules quand il s’agissait d’approuver le traité budgétaire européen dit « Merkozy ». De même lorsqu’ils ont exigé des listes conduites par des socialistes qu’elles se retirent et appellent à voter pour Xavier Bertrand, Christian Estrosi et Philippe Richert, quand bien même ce n’était pas nécessaire comme l’a montré le socialiste Jean-Pierre Masseret en se maintenant. Ou, plus récemment, quand il leur a fallu obtenir l’appoint de voix de droite pour faire passer à l’Assemblée nationale, la déchéance de nationalité, vieille obsession de l’extrême droite. Les exemples abondent dans l’histoire politique de ces dix dernières années. Et le pire est sans doute à venir quand Jean-Marie Le Guen plaide pour des convergences avec l’UDI et LR après 2017. D’autant que le ministre des Relations avec le Parlement est loin d’être le seul au sommet de l’État à imaginer un tel rapprochement. Voter avec la droite serait incohérent, martèle pourtant sur toutes les ondes le gouvernement. La vraie cohérence n’est pas dans ces artifices.

Il n’est pas possible d’affirmer, comme on pouvait le lire dans la « motion des gauches et écologistes », et cette analyse est juste, que le projet de loi El Khomri « comporte un risque grave d’atteintes aux droits des salariés et à notre modèle social », que « l’inversion de la hiérarchie des normes » qu’elle consacre « généralisera la possibilité pour une entreprise de pratiquer le moins-disant social (par exemple en diminuant la majoration des heures supplémentaires) » et « constitue une régression historique », qu’elle « facilite les licenciements » et incite « à l’augmentation du temps de travail », sans en tirer toutes les conséquences. Or le seul moyen dont disposent les députés pour rejeter ce texte, depuis l’engagement de la responsabilité du gouvernement qui permet l’adoption du texte sans vote sauf si une motion de censure est adopté, c’est de voter ladite motion de censure. Quel que soit le texte de motivation qui l’accompagne, celui-ci n’ayant aucune valeur d’engagement programmatique.

L’article 49.3 est clair. Ne pas voter la censure, revient à adopter le projet de loi. La voter c’est l’assurance, pour les députés socialistes, d’être exclu de leur groupe parlementaire et probablement du PS. Il n’y a pas d’échappatoire. Ceux qui se disent opposés au texte pour les raisons susmentionnées ne peuvent tergiverser, sauf à montrer qu’à tout prendre leur avenir immédiat leur importe davantage que le sort de millions de salariés et de chômeurs qui auront à pâtir dans leur vie quotidienne des effets de cette loi.

Politique
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