Violences policières : Crimes sans châtiments

Classements sans suite, non-lieux acquittements – au pire, du sursis… L’impunité judiciaire a force de loi.

Malika Butzbach  • 10 janvier 2018 abonné·es
Violences policières : Crimes sans châtiments
© photo : NICOLAS TUCAT / AFP

Z yed et Bouna, on n’oublie pas, on ne pardonne pas. » Dix ans que ces cris résonnent par-delà la ville de Clichy-sous-Bois, mais c’est à Rennes que le procès s’est tenu, le 18 mai 2015. Énième épisode judiciaire de la tragédie du 27 octobre 2005 qui avait provoqué des émeutes sans précédent dans nombre de banlieues françaises. Face à la décision du juge, on ne retient qu’une chose : l’impunité judiciaire dont jouissent les forces de l’ordre.

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Assa Traoré « On finit par avoir le sentiment que nous sommes ceux qu’il faut condamner, comme des boucs émissaires. Nous sommes contraints de porter des accusations qui ne nous concernent pas, et sommes toujours interrogés sur notre rapport aux forces de l’ordre. Les jeunes garçons des quartiers populaires sont considérés comme des enfants des colonies, qu’il faut dompter, tenir, et qui n’ont droit à aucun avenir. Ils doivent demander pardon même quand ils ne sont responsables de rien. Aucun pas de travers, alors qu’on les assigne à des espaces sans possible, sans lendemain. Quand ils sont interpellés, ils sont jugés et condamnés aussi sec. À l’inverse des forces de l’ordre impliqués dans des morts. C’est deux poids, deux mesures. »
Selon le jugement, Sébastien Gaillemin et Stéphanie Klein, les deux fonctionnaires mis en cause, n’ont jamais « eu conscience de l’existence d’un péril grave et imminent ». Et qu’importe si le policier a lâché : « S’ils entrent sur le site, je ne donne pas cher de leur peau », regardant les deux silhouettes d’adolescents qui cherchaient à fuir la police enjamber le grillage pour rejoindre un petit bois, à cinq mètres du site EDF en question. Trente minutes après le départ des policiers, Zyed Benna et Bouna Traoré mouraient électrocutés. À la sortie du procès, il y a « un sentiment d’injustice », déclare alors Emmanuel Tordjman, représentant des parties civiles.

Ce sentiment d’injustice, les familles de victimes de violences policières le connaissent bien. En 2009, Amnesty International pointait dans un rapport « l’impunité » dont bénéficient les forces de l’ordre accusées de violations des droits de l’homme. « Sur 663 plaintes examinées par l’organe d’inspection de la police en 2005, seules 16 ont conduit à la radiation des agents concernés », note le rapport. Mais, en France, les statistiques officielles sur les violences policières et les morts par balles à la suite d’une intervention policière n’existent pas. C’est donc grâce à des sources non officielles, comme les sites d’information StreetPress ou Bastamag, ou encore les associations et collectifs tels qu’Urgence notre police assassine, qu’on peut prendre connaissance des chiffres. Amnesty se fonde sur les données de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). « De très nombreuses plaintes déposées contre des agents des forces de l’ordre sont classées sans suite par le parquet avant même d’arriver au tribunal », ajoute le rapport de l’ONG.

Le non-lieu semble une pratique courante. C’est ainsi que s’est terminée l’affaire judiciaire de la mort de Lamine Dieng, le 17 juin 2007 à Paris, consécutive à une immobilisation réalisée « d’une manière peu académique », note le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS). La même méthode que celle qu’auraient utilisée les gendarmes avec Adama Traoré.

Le site StreetPress recense, depuis 2000, 47 décès liés aux interventions des forces de l’ordre, et aucun policier impliqué n’est allé en prison. Un tiers de ces affaires a abouti à un classement sans suite, un non-lieu ou un acquittement. Ce fut le cas après la mort de Joseph Guerdner, abattu en mai 2008 d’une balle dans le dos alors qu’il tentait de s’enfuir d’une garde à vue à Draguignan. Trois ans plus tard, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour cet acquittement. Et, lorsqu’une condamnation est prononcée, il s’agit généralement d’une peine avec sursis. En 1990, déjà, les deux policiers accusés de la mort de Malik Oussekine avaient écopé respectivement de cinq et deux ans de prison avec sursis.

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