« Éprouver le sens de la peine » : Surcharge punitive

À grand renfort de témoignages de personnes condamnées, Éprouver le sens de la peine rend compte de la difficulté à vivre les mesures alternatives à l’enfermement.

Jean-Claude Renard  • 4 mai 2022 abonné·es
« Éprouver le sens de la peine » : Surcharge punitive
© Thibaut Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Propos pêle-mêle : « C’est difficile d’se retrouver dehors après, ben moi en l’occurrence quatre ans quoi. Mais au bout de quatre ans s’retrouver dehors, j’me suis pris une bouffée dans la tronche », confie Éric. « Ouais, c’est terrible le bracelet. Euh, avec les réseaux sociaux et tout, tout le monde est dehors, toi tu dois rentrer, c’est incroyable. Des fois, je rentrais il me restait une minute pour parcourir euh… […] Tu rentres vraiment au dernier moment tellement ouais, ça rend fou », reconnaît Emmanuel. « Ah bah, t’façon, vie sociale, moi j’ai plus, et personne du jour au lendemain […]. J’ai eu l’bracelet, pendant six mois j’ai plus eu personne qui est v’nu, hein », commente Éric. « J’ai l’impression que ça va jamais se terminer […], qu’on va être toujours sur mon dos », déplore Rémi.

Même son de cloche pour Yann : « Je pensais en tout cas qu’une fois que j’avais quitté cet univers carcéral, je pensais que ouf ! c’était fini. Et en fait, la peine, elle se poursuit et, entre guillemets, elle commence véritablement après. La peine est beaucoup plus insidieuse, beaucoup plus pernicieuse que cela. » Interminable affaire.

Tels sont les propos de probationnaires, détenus ayant écopé d’une peine alternative, après incarcération ou pas, du travail d’intérêt général au bracelet électronique, de la semi-liberté au sursis avec mise à l’épreuve. Des propos qui disent la peine et son sens, nourrissant cet ouvrage signé conjointement par Jérôme Ferrand, Fabien Gouriou et Olivier Razac, respectivement maître de conférences en histoire du droit et des institutions, docteur en psychologie et maître de conférences en philosophie.

Pour cette enquête au long cours, les auteurs ont conduit des entretiens de près d’une heure en moyenne. De quoi constituer une matière première précieuse pour les chercheurs. Parce que, passé les paragraphes philosophiques et techniques (c’est une nécessité pour rendre compte de la complexité et des méandres des peines de probation), l’intérêt de l’ouvrage repose entièrement sur la parole des condamnés. Elle permet de comprendre que la probation, a priori positive comparée à l’enfermement, ne doit pas occulter qu’elle reste une épreuve à subir, loin de toute sinécure.

Les difficultés surviennent en effet pour un changement de logement, un entretien avec un potentiel employeur, un rendez-vous avec un avocat, des prises de sang imposées dans les obligations de soins, un rendez-vous encore avec le juge d’application des peines ou un conseiller d’insertion et de probation… Mais aussi pour aller simplement au cinéma ou dîner chez des amis, avec un plein paquet de justificatifs autour de l’hôte.

Entre épreuve et emprise, parce qu’une peine reste une peine. Même hors cellule.

Éprouver le sens de la peine. Expériences de vies condamnées Jérôme Ferrand, Fabien Gouriou, Olivier Razac, Éditions du Commun, 242 pages, 16 euros.

Idées
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