« Mad Max Fury Road » de George Miller ; « An » de Naomi Kawase

Christophe Kantcheff  • 14 mai 2015
Partager :

« Mad Max Fury Road » , de George Miller

[séance spéciale]

Il y a quelques années j’avais cité dans cette même chronique cannoise le célèbre groupe de hard rock Kiss, parce que son tintamarre bariolé me semblait évoquer avec justesse le blockbuster dont il était question ce jour-là. Certains lecteurs avaient été surpris. Ils le seront à nouveau car voici que la même référence me semble encore plus pertinente avec Mad Max Fury Road , le retour de Max Rockatansky trente ans après – le dernier Mad Max datant en effet de 1985. Non seulement parce que les troupes du méchant du film, le dictateur Immortan Joe, sont menées au doux son de tambours assourdissants et d’une guitare heavy metal dont le manche laisse échapper des flammes de feu d’artifice – Kiss s’étant fait une spécialité des explosions visuelles de ce type. Mais aussi parce que Mad Max Fury Road , au propre (la bande son) comme au figuré, a toutes les allures d’un cirque de hard rock, tonitruant, spectaculaire et survitaminé. Sauf que les membres fondateurs sexagénaires de Kiss semblent s’épuiser (en concert le 16 juin à Paris, pour ceux qui voudraient vérifier), tandis que le septuagénaire George Miller, cinéaste australien, concepteur et réalisateur des Mad Max, pète la forme.

Le film témoigne en effet d’une réelle virtuosité de mise en scène dans les séquences de poursuites et de castagnes (97 % du film). George Miller fait preuve d’une incontestable invention visuelle, qui, cela dit, s’avérait nécessaire en raison du scénario fort étroit – mais le cinéaste fait le job, et le fait plutôt très bien. Il ne s’interdit pas, en outre, des clins d’œil cinéphiliques où l’on discerne du cinéma muet, en particulier Metropolis , du western et des cartoons. On appréciera aussi la manière dont George Miller surfe avec ambivalence, donc habileté, sur des thématiques modernes dans un futur post-apocalyptique : les femmes y sont des vierges promises au maître qui ont toutes une plastique de mannequins, ou l’impératrice Furiosa (Charlize Theron), une guerrière courageuse, dénuée d’un bras, désobéissante à l’affreux dictateur. En fuite, aidées par le taciturne Max (Tom Hardy, remplaçant un Mel Gibson trop vieux ?), elles souhaitent rejoindre d’hypothétiques « terres vertes » , lieu de naissance de Furiosa. Mais ces terres sont devenues acides – clin d’œil écologique évident – quand toutes les actions du film appellent des dépenses somptuaires de ressources énergétiques naturelles.

Il serait cependant singulièrement abusif de considérer Mad Max Fury Road comme un film manipulant des thèses. C’est un spectacle d’archi-fous du volant, qui suscite une tension souvent jubilatoire, non dénuée d’ironie, mais sans le cynisme ni la vulgarité de certaines méga-productions équivalentes.

« An » , de Naomi Kawase

[Un certain regard]

Illustration - « Mad Max Fury Road » de George Miller ; « An » de Naomi Kawase

Quel plaisir de retrouver Naomi Kawase qui, avec de petits riens, sait faire un grand tout – Cannes, terre de contrastes, après le pétaradant Mad Max Fury Road ! C’est encore le cas avec ce nouveau film, An , choisi pour faire l’ouverture d’Un certain regard (il faut dire qu’habituellement Kawase se trouve en compétition). Une échoppe de dorayakis, des pâtisseries traditionnelles japonaises aux allures de blinis ou de pancakes, fourrées aux haricots rouges confits et sucrés. Une vieille femme vient proposer ses services au patron de cet endroit, qui finit par l’embaucher une fois qu’il a goûté aux haricots de sa fabrication. Une rencontre, donc, au cœur d’ An , entre cet homme, peu enjoué, qui pourrait être son fils, et une vieille femme, qui ne cesse d’être présente à la vie, parlant à la lune ou écoutant ce que les haricots qu’elle cuisine ont à dire de leur parcours depuis leur champ d’origine. Auxquels s’ajoute une jeune fille, cliente de l’échoppe, peu aimée par ses parents, en quête d’attention et de chaleur.

An raconte l’histoire qui se noue entre ces trois délaissés, où un regard, un silence complice ou une attention devient un événement intime considérable. La caméra de Naomi Kawase illumine des émotions profondes, reliées à des traumatismes secrets ou cachés dont certains sont dus à la façon dont le Japon, dans son histoire encore récente, a traité ses « indésirables ». Surgissent des épiphanies poétiques autant que des bouleversements existentiels. La vieille femme dit à un moment : « Nous sommes faits pour regarder ; et même si on n’a pas “réussi sa vie”, on peut trouver un sens à son existence. » C’est une belle sentence, qui convient pour chaque spectateur des films de Naomi Kawase et d’ An en particulier. Comment dire que l’on se sent davantage vivant face à ce film merveilleux ? Il nous fait accéder à des perceptions plus difficiles à ressentir dans la réalité, chaotique et quotidienne. Et ces perceptions agitent en nous des questions essentielles sur le rapport à l’Autre et sur notre propre vérité.

Temps de lecture : 5 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don