Mollahs acculés, tactique éculée

Après la révolte populaire de septembre 2022, le régime iranien a d’abord courbé la tête, puis vite repris du poil de la bête, en réprimant férocement ses opposants. Il s’attelle aujourd’hui à restaurer la clé de voûte de son projet de société : s’attaquer à la liberté des femmes.

Patrick Piro  • 30 avril 2024
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Mollahs acculés, tactique éculée
À Téhéran, devant une illustration murale représentant des scènes du poème épique persan "Shahnama" (Livre des Rois), le 30 janvier 2024.
© ATTA KENARE / AFP

À mesure qu’ils persévèrent dans leur obscurantisme, les dirigeants iraniens laissent clairement lire dans leur tête. Le tour de vis qu’ils viennent d’opérer contre les femmes et le durcissement de la répression qui va avec relèvent d’un procédé vieux comme les dictateurs accrochés au pouvoir : quand la situation domestique leur échappe, ils brandissent des menaces venues de l’étranger et lâchent leurs nervis sur la population.

Depuis deux semaines, le contrôle du port du voile par les femmes dans l’espace public s’est considérablement renforcé. Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, les arrestations et le harcèlement se sont généralisés à l’encontre des femmes et des jeunes filles. Les témoignages affluent sur les brutalités policières, jusqu’à des actes de torture, afin de mater les rebelles sans coiffe.

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Dans les mois qui ont suivi la révolte populaire « Femme, vie, liberté » déclenchée en septembre 2022 par la mort de la jeune Kurde iranienne Jina Mahsa Amini, à la suite de son interpellation brutale pour port incorrect du voile, les mollahs avaient courbé la tête pour laisser passer l’orage. La sinistre police des mœurs, qui patrouillait dans les rues à la recherche des « indécentes », avait disparu du paysage, et de plus en plus de femmes circulaient sans hijab. Mais la loi qui impose cette coiffure et, au-delà, le respect d’un code vestimentaire précis pour toutes, musulmanes ou non, n’a jamais été abolie.

Petit à petit, les mollahs ont repris du poil de la bête, laissant les manifestations s’épuiser en vain sur leur inflexibilité.

Petit à petit, les mollahs ont repris du poil de la bête, laissant les manifestations s’épuiser en vain sur leur inflexibilité, soutenus par le puissant Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). Dans un premier temps, la rue a été étouffée. Les arrestations se sont succédé, et les exécutions de même, une dizaine, destinées à punir celles et ceux qui incitaient à la révolte, et à effrayer les autres. Et désormais voilà le pouvoir attelé de front à la restauration de la clé de voûte de leur projet de société, obsessionnel depuis la prise de pouvoir des religieux en 1979 : l’interdiction du cheveu féminin libre.

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Le CGRI a créé une nouvelle brigade d’intervention chargée de faire appliquer « de manière plus sérieuse » la règle du voile obligatoire. L’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême iranien, en a livré son explication : « La question du hijab est désormais devenue un défi imposé à notre pays ; c’est un problème qui n’existait pas auparavant. » La faute aux étrangers, Occidentaux en tête, qui soutiennent le mouvement iranien de libération des femmes : un classique éculé des pouvoirs acculés. Le dérivatif de la menace internationale tout autant que cet envoi opportunément limité de drones sur Israël coïncident avec l’assaut intérieur lancé contre les femmes.

Pour la journaliste Narges Mohammadi, cette guerre du pouvoir contre toutes les femmes traduit sa fébrilité.

Les hommes qui les soutiennent n’y échappent pas. En dépit de sa très grande popularité, le rappeur Toomaj Salehi vient d’être condamné à mort pour ses prises de position en faveur du mouvement de révolte de 2022. Une erreur propre à raviver les braises ? Pour la journaliste Narges Mohammadi, Prix Nobel de la paix 2023, cette guerre « impitoyable menée à grande échelle » par le pouvoir contre toutes les femmes traduit sa fébrilité, en désespoir de cause. Elle appelle ses sœurs iraniennes à ne jamais renoncer à la résistance, à la remobilisation « du peuple iranien tout entier, et des peuples du monde à sa suite », faute de quoi, c’est « la mort assurée ».

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Le message (1) prend tout son poids quand on sait que Narges Mohammadi l’a fait parvenir clandestinement de la prison où elle purge douze ans de peine, avec la complicité de sa codétenue Sepideh Gholian. En pleine vague de répression, ce courage insensé, pointe visible de milliers d’actes d’insoumission, invite à un électrochoc de toutes les consciences planétaires.

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Publié par Le Monde, 23 avril 2024. 

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