Ici Mantes-la-Jolie, les banlieusards parlent aux banlieusards

Le film « Ils l’ont fait »  réalisé par quatre amis originaires de Mantes-la-Jolie est en tournée dans toute la France. Par le biais de l’humour, il cherche à réveiller la citoyenneté d’une jeunesse de banlieue bien endormie. Présentation d’une œuvre d’intérêt civique. Le film est diffusé vendredi 27 mai à 21h30 sur la place de la République.

Jean-Riad Kechaou  • 15 février 2016
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Ici Mantes-la-Jolie, les banlieusards parlent aux banlieusards

C’est l’hystérie dans Mantes la jolie, la cité des Yvelines située à environ 60 km de la capitale. La commune vient d’élire pour maire Khalifa Camara, un jeune homme noir originaire de la cité populaire du Val Fourré qui à elle seule abrite la moitié de la population de cette ville.

Ceci n’est que le happy end d’une comédie de 80 minutes intitulée « Ils l’ont fait ». Pourtant, ce genre de scénario pourrait très bien arriver dans bon nombre de communes de banlieue si l’abstentionnisme n’était pas aussi important. « Ils l’ont fait » a été élaboré par quatre amis, Saïd Bahji, Rachid Akiyahou, Majid Eddaikhane et Khalid Balfoul, tous originaires du Val Fourré. « On en avait marre que des gens débarquent, s’autoproclament experts de la banlieue et parlent à notre place, alors qu’ils ne nous connaissent pas » explique Majid Eddaikhane, l’un des scénaristes. Quant au réalisateur et dialoguiste Saïd Bahij, il considère son film comme un appel à l’engagement civique: « il faut inciter les jeunes à avoir une conscience politique (…), qu’ils soient les auteurs de leur histoire. Ce film est un vrai acte politique car porteur d’une vraie culture de banlieue »

Le film s’inspire ainsi d’une comédie américaine sortie en 2003 « Président par accident » de Chris Rock où un afro-américain devient président des États-Unis d’Amérique. On ne peut que souhaiter la même prophétie pour Mantes la Jolie ou une autre ville de banlieue, même si on en est encore très loin en France. Pour preuve, le film sorti début 2015 n’a toujours pas de distributeur. Malgré un minuscule budget et de nombreux acteurs amateurs, tous les ingrédients sont pourtant présents pour que cette caricature burlesque cartonne. Elle s’attaque sans méchanceté à tous les défauts de certains maires de banlieue clientélistes et corrompus sans oublier, et c’est le point fort du film, de critiquer sans concession certains jeunes habitants de cités HLM qui acceptent passivement ou activement parfois la gestion scandaleuse de leur commune par un maire pouvant rappeler évidemment un ancien édile de l’Essonne.

« Un braquage démocratique à 200 millions d’euros ! »

Dans le film, l’objectif du candidat Khalifa Camara est simple, si la population du Val Fourré vote pour lui, il peut l’emporter mais deux obstacles de taille se dressent sur sa route: l’absence de conscience politique et surtout la flemme des jeunes qui n’accordent aucun intérêt à la politique.

© Politis
{: class= »img-responsive » }Oumar Diaw dans le rôle de Khalifa Camara et Marc Pierret qui interprète le maire Jacques Adie.

©Ils-lont-fait.com

Face à lui, Jacques Adie, un maire cynique prêt à baragouiner quelques mots dans les langues d’origine des habitants en mangeant en tenue traditionnelle couscous ou mafé dans des mariages marocains ou sénégalais, les deux communautés les plus importantes du Val Fourré. Un maire qui promet aussi appartements et emplois municipaux pour rester au pouvoir dans une commune qui pourrait basculer si les habitants de ce gigantesque quartier s’opposaient à lui.

L’ équipe de campagne du jeune homme est elle aussi prête à tout pour ce  » braquage démocratique à 200 millions d’euros » comme l’annonce Khalifa soit le budget cumulé de la mairie et de la communauté d’agglomération. Évidemment, ils utilisent les mêmes procédés que le maire sortant en promettant aussi monts et merveilles aux habitants du quartier. Mais, connaissant mieux leurs amis, ils s’adressent à eux via les réseaux sociaux adaptés et haranguent la population à coup de slogans terriblement efficaces. Une façon de montrer qu’il n’est pas si difficile de faire de ce type de politique là.

En utilisant l’humour et le langage de ces habitants de quartier populaire, la comédie cherche aussi à « bousculer » cette jeunesse bien endormie. La scène où une brigade du vote intervient dans tout le quartier en réveillant énergiquement les jeunes électeurs pour qu’ils aillent voter est à mourir de rire, surtout lorsque l’un d’entre eux ressort du « photomaton » (l’isoloir) tout fier avec le bulletin de vote de son ami candidat…

Le débat entre les deux candidats est lui plus subtil et montre la connaissance superficielle des problèmes des habitants d’un maire méprisant et fourbe face à un candidat plus au fait des aspirations de ses voisins.

En tournée dans toute la France pour réveiller la conscience politique des jeunes

Sans distributeur donc et malgré des critiques élogieuses de la presse de gauche et de l’Institut de France qui lui a décerné un prix coup de coeur, l’équipe du film organise depuis un an une tournée dans toute la France, à la manière d’un spectacle. Avec 40 projections à ce jour, le succès est à chaque fois au rendez-vous. « Notre stratégie est de susciter la curiosité. Que les gens se déplacent. En fait, on vend ça comme un spectacle de stand-up, en programmant des dates un peu partout en France. En attendant un distributeur » explique Majid Eddaikhane, ingénieur en informatique de profession et responsable du marketing du film également.

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{: class= »img-responsive » }Débat dans la salle de spectacle de l’Auberge de Jeunesse Yves Robert dans le 18ème arrondissement de Paris. Journée du film citoyen organisée par Anime et Compagnie. © Thierry Soumah

Le débat qui suivit la projection du film fin janvier lors de la journée du film citoyen organisée par l’association parisienne Anime et Compagnie fut très intéressant. Il a eu lieu en présence de l’équipe du film et de deux jeunes élus des mairies du 18eme et 20eme arrondissement de Paris. Beaucoup de jeunes spectateurs ont remercié l’équipe avant de déclarer reconnaître leurs communes dans ce film. Les deux représentants socialistes ont aussi dû répondre à de nombreuses critiques dont la mienne. Logique, même si le film attaque frontalement des maires de droite, il n’épargne pas la gauche, de manière implicite, avec l’abandon de deux promesses électorales de François Hollande si importantes pour ces banlieues populaires: l’arrêt du contrôle au faciès et surtout la possibilité pour les étrangers hors UE de voter aux élections municipales. Évincés par le débat sur la déchéance de nationalité, l’amendement pour le vote des étrangers a pourtant été proposé par Benoît Hamon à l’Assemblée mais sur les 172 députés présents, seulement 67 ont voté en faveur.

Durant les échanges, une personne s’est offusquée de constater que le jeune candidat ne proposait rien et que, finalement, son unique projet était de prendre la place du maire en utilisant la même méthode que lui. Pour Majid Eddaikhane, « Khalifa utilise le même procédé que le maire sortant car le clientélisme fait rage depuis plus de 30 ans dans ces quartiers populaires et pour les inciter à venir à son meeting, il est obligé de surenchérir dans les promesses mais il le fait surtout pour l’intérêt général de toute sa ville donc c’est un mensonge utile et nécessaire. »

« Ils l’ont fait » au collège ou au lycée en guise de cours d’enseignement moral et civique ?

La question que je me suis donc posé tout au long du film est évidemment de savoir si ce film avait un intérêt pédagogique afin de le proposer à mes classes de troisième.

© Politis
{: class= »img-responsive » }Programme d’enseignement moral et civique du cycle 4 , bulletin officiel du 25 juin 2015

Le premier élément de réponse est qu’il correspond parfaitement au nouveau programme d’enseignement moral et civique du cycle 4 (5e, 4e et 3e) avec une partie intitulée « L’engagement : agir individuellement et collectivement  » où on trouve comme connaissances, capacités et attitudes visées:  » Expliquer le sens et l’importance de l’engagement individuel ou collectif des citoyens dans une démocratie ».

Le second élément est que le film a déjà été diffusé à la mission locale du Havre, la faculté de Nanterre, un lycée de Nîmes, les collèges et le lycée de l’Ile Saint Denis, un collège à Athis-Mons avec à chaque fois le même succès: « Les jeunes étudiants ressortent avec des étoiles plein les yeux et surtout plein d’espoir car pour eux, c’est un film qui parle de politique sous forme ludique avec des termes simples » déclare fièrement Majid Eddaikhane qui s’investit pleinement dans cette mission citoyenne en participant aux débats concluant toutes les projections.

Certains y verront un choix démagogique mais je proposerai à mes élèves de troisième mais aussi aux lycéens de ma commune qui le souhaitent une projection du film d’ici la fin de l’année scolaire car « Ils l’ont fait » est certainement une arme bien plus efficace pour alerter les adolescents sur les enjeux de l’engagement civique notamment au niveau municipal que beaucoup de discours formatés et indigestes.

Une arme civique donc mise au point par des banlieusards pour les banlieusards mais aussi pour tous les Français. Il serait temps en effet que certains reconsidèrent les banlieues populaires comme des territoires lambda en oubliant définitivement cette vision néocoloniale et paternaliste réduisant ceux qui y vivent à de gentils ou méchants assistés qu’il faut venir aider ou punir.

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Temps de lecture : 8 minutes
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