Courrier des lecteurs Politis 985

Politis  • 17 janvier 2008 abonné·es

Bouffon Imperator

J’ai apprécié à son juste niveau l’humour qu’Alain Brossat, philosophe, exerce à l’encontre de l’omniprésident [voir Politis n° 982-983], qui ne l’a pas volé. Mais, à la date du 28 juin 2007, Michel Onfray se prend dans la tronche un coup de griffe perdu : « pas dégoûté, le philosophe tout public » . Déjà, ce n’est pas logique de faire le délicat tout en savourant le plat énorme à la sauce génétique servi par le collègue. Ensuite, il se trouve que le travail critique et iconoclaste du philosophe de proximité est venu réveiller et stimuler mon intérêt pour la réflexion en même temps qu’il redonnait vie à des penseurs condamnés à l’oubli. Cela pour dire simplement que, si je parviens prochainement à accéder aux oeuvres philosophiques de notre ami universitaire Alain Brossat, c’est à Michel Onfray que nous le devrons.

Michel Sirurguet, Vaux-sous-Aubigny
(Haute-Marne)

Démocratie participative

Je lis, dans le n° 983 de Politis , dans l’article consacré aux Rencontres mondiales de la démocratie participative, que, selon Sergio Amaral, responsable de Solidariedade, la démocratie participative continue à Porto Alegre malgré le passage de la municipalité dans les mains d’une équipe de centre droit. La réalité est hélas plus obscure et triviale. Sur quelle réalité, quantitative ou qualitative, repose l’affirmation ? Solidariedade a toujours défendu une dépolitisation du processus, sous couvert d’indépendance. Volonté louable, mais nous constatons, hélas, qu’actuellement cette ONG de quelques personnes ­ vivant en grande partie de leur mission ­ est entièrement financée par des collectivités locales, et en particulier par celle de Porto Alegre. Où est l’indépendance qui crédibiliserait le propos ?

Hélas, cette ONG s’est adaptée à la demande et est passée en partie de l’éducation à la démocratie participative et à la pratique du contre-pouvoir à la classique et nécessaire assistance sociale en milieu populaire. Elle joue les relais du pouvoir local. Sur le terrain, à Porto Alegre, je constate que la dynamique de participation créée lors des mandats du Front populaire est retombée comme un soufflé. Ce qui reste est une coquille vide au service de la communication municipale. Simple constat, ni plus ni moins crédible que les propos tenus dans l’article en question.

Rémy Querbouet

Les nantis

Quand je vois le temps passé aux taches ménagères (cuisine, vaisselle, ménage, courses, entretien de la maison) et à l’éducation des enfants ­ le temps passé et l’énergie que cela demande ­ ; quand j’y ajoute le temps passé au travail (déplacement, présence, mobilisation) ­ le temps passé mais aussi l’énergie et stress que le travail demande ­, et qu’au bout du mois, après tous ces efforts, on se retrouve ric-rac, c’est un peu dur à avaler, mais on continue parce qu’il le faut bien. Mais là où une forme de dégoût nous envahit, c’est lorsqu’on entend nos dirigeants, leurs experts et les grands patrons nous dire comme une nécessité qu’il faudra « travailler plus, plus longtemps pour sauver le régime des retraites, sauver l’Unedic, sauver la Sécu, sauver l’emploi par la consommation… ».

En fin de compte, ces nantis (que je plains : pauvres riches), qu’on imagine mal poussant le Caddie ou lavant des casseroles, nous demandent de nous sacrifier pour sauver des institutions qu’ils s’ingénient à rendre moribondes. Comment appeler cela ?

Tout simplement du mépris. Et le mépris, ça entraîne la colère… Grâce à Politis , journal indépendant des nantis, notre dégoût prend la forme de l’indignation et de la révolte : énergies positives et constructives.

Merci de tenir le cap en 2008.

Marc Lavarini

Suppression de la pub

Lorsqu’en 1986 le Premier ministre Jacques Chirac et son ministre de l’Inculture ont privatisé TF 1, j’étais très mécontent. Cela annonçait un appauvrissement culturel du petit écran, par le déferlement de la publicité et la recherche de l’audimat. Après vingt-deux ans, les dégâts sont encore bien pires que ce qu’on imaginait.

J’aurais donc dû applaudir à tout rompre lorsque Nicolas Sarkozy a annoncé la prochaine fin de la pub sur les chaînes du service public.

Mais un événement m’a mis la puce à l’oreille : la hausse immédiate des « actions TF 1 ».

Bien que toujours farouchement opposé aux « pubs », qui sont à la fois mensongères et abêtissantes, je discerne dans la proposition sarkozienne deux pièges :

Elle peut viser à affaiblir financièrement le service public de télévision afin d’aboutir à sa suppression ou, ce qui revient au même, à sa privatisation.

Elle peut amener le service public à être beaucoup moins indépendant, voire être « à la botte » du pouvoir exécutif. On se souvient d’avant 1981, où il suffisait d’un coup de téléphone de l’Élysée pour virer un journaliste qui avait déplu.

La proposition de supprimer les pubs à la télé, que j’approuve totalement, n’est tenable que dans le cas d’une renationalisation de TF 1.

Mais le parti dominant de la gauche, le PS, ne risque pas de mettre cette décision salutaire dans son programme : il ne l’a même pas fait en revenant au pouvoir en 1988. Il est vrai que son leader de l’époque, Michel Rocard, n’a jamais eu de gauche que l’étiquette. Et les leaders socialistes d’aujourd’hui, que font-ils ? Ils laissent Sarkozy appliquer le programme du Medef pour lequel il s’est fait élire, ils critiquent parfois timidement, en se frottant les mains de voir quelqu’un d’autre faire le sale boulot, et ne promettent surtout pas de faire machine arrière s’ils reviennent au pouvoir.

La télévision publique et tous les services publics sont en grand danger ! Comme le sont le droit du travail, le pouvoir d’achat et les droits individuels. Seul un sursaut populaire peut s’opposer à ce massacre.

Pierre Lhopiteau, Dompaire (Vosges)

« Maman est folle »

Contrairement à ce que note le comité interluttes de Calais [voir le n° 983 de Politis ], le téléfilm Maman est folle ne montre pas le côté « idyllique » de la vie des réfugiés. Au contraire, la pression policière est montrée comme une constante (deux descentes de police plutôt musclées, dont l’une se termine par la mort accidentelle du héros), le système judiciaire expéditif y est décrit dans une séquence glaçante, et la destruction du squat des réfugiés est un moment clé du film. Certes, ce téléfilm n’est pas un « docudrame » sur le système français de traitement des sans-papiers et de leur expulsion, cela ne l’empêche pas de jouer son rôle dans une prise de conscience de la réalité calaisienne, et il me semble que le fait qu’il ait « touché » 3 millions de téléspectateurs sans trahir la réalité par une fiction qui « se termine bien » devrait nous laisser un peu rêveurs sur une autre télévision possible.

Laurent Rigaut, Lambersart (Nord)

Thèse, antithèse, foutaise

On voudrait nous faire croire que le travail est tout ce qu’il nous reste, que c’est sur lui qu’il faut compter dans les moments difficiles, que c’est par lui qu’on peut exister. Pourquoi le travail donnerait-il le droit de vivre ? Par le sentiment d’utilité sociale qu’il procure, mais pas seulement. Aujourd’hui, travail est synonyme de pouvoir d’achat et d’achat du pouvoir. Par le travail, j’achète mon pouvoir, mon droit d’exister. Depuis quand l’avoir a-t-il anéanti l’être ? L’être, ce mot désuet dont on ressent parfois la nostalgie. L’être est tout ce qu’il nous reste. Nicolas Sarkozy a demandé à Joseph Stiglitz et à Amartya Sen de reconsidérer la croissance, sans doute pour faire entrer dans le PIB un peu de capital humain. Mais notre « omniprésident » sait-il que c’est l’humain qui est capital ?

Le capital est anthropophage. C’est un monstre qui absorbe l’altérité, la différence. Sarkozy est à son image. Au nom de la diversité, il prêche l’identité. Au nom de l’ouverture, il parle de défense, de protection. Au nom du dialogue, on n’entend plus que lui. Ne peut-il pas laisser l’autre s’exprimer, au lieu de se faire son avocat ? Ne peut-il pas écouter ?

On voudrait nous faire croire que hors de la secte de la croissance économique, point de salut. La République a besoin de croyants. Sarkozy voudrait mettre la transcendance au service du marché. Cela ne vous rappelle pas quelque chose ? La croisade contre le croissant au nom de la sainte croissance ! Ce n’est pas la croissance qu’il faut libérer, mais l’être, la vie. Et, au lieu citer comme un slogan Edgar Morin et sa « politique de civilisation » (la culture, c’est comme la confiture…), peut-être l’omniprésident devrait-il se lancer dans la lecture d’Hannah Arendt, qui fait de la notion de travail une critique vive : « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui lui reste. On ne peut rien imaginer de pire. »

Mathieu Yon

Courrier des lecteurs
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