Juste un héros

Raoul Wallenberg, diplomate suédois, sauva des milliers de Juifs avant d’être arrêté par l’Armée rouge.

Jean-Claude Renard  • 10 janvier 2008 abonné·es

Journal de bord avant le grand saut~: « Je dois tout faire pour sauver le plus de vies possible. Je dois arracher des griffes des assassins le plus grand nombre de personnes. Chaque jour qui passe coûte des vies humaines. » Telle est l’idée de Raoul Wallenberg en quittant la Suède, État neutre, en juillet 1944, pour la Hongrie, muni d’un passeport diplomatique, mandaté par son gouvernement et le Comité des réfugiés de guerre, une institution américaine fondée en janvier de la même année par Roosevelt.

Quand il entre en Hongrie, plus de quatre cent mille Juifs des campagnes ont déjà été envoyés dans les camps d’extermination. Sur ordre d’Eichmann, les deux cent mille Juifs de la capitale doivent subir le même sort. Raoul Wallenberg possède une liste de six cent quarante-quatre personnes à sauver. Il y a comme un écho de la mission de Varian Fry dans cette entreprise (voir Politis n° 983), une entreprise qui dépasse son projet initial et répond à cette formule du Talmud~: «~Sauver une vie, c’est sauver l’humanité.~»

Au cours des six mois qui vont suivre, Wallenberg et ses collaborateurs vont permettre à plusieurs dizaines de milliers de personnes d’échapper aux SS et à leurs complices hongrois~: la légation délivre des passeports de citoyens suédois par centaines. Les détenteurs de ces passeports sont alors placés sous la protection de la légation, avec un statut d’étranger jusqu’à leur rapatriement en Scandinavie. Un tour de passe-passe efficace. Les Juifs ne sont plus obligés de porter l’étoile jaune~: cela les protège des rafles nazies. Huit cents passeports pour commencer. Cela se sait. Les gens arrivent en masse aux portes de la légation. Quand il n’y a aucun lien ­ familial ou professionnel ­ avec la Suède, un secrétaire s’empare de l’annuaire, choisit un nom, une adresse au hasard. Le lien est fait à la barbe des autorités hongroises. Wallenberg fera établir ainsi plusieurs milliers d’autres passeports pour éviter le pire.

L’histoire de Raoul Wallenberg pourrait s’arrêter là. Elle se confond tragiquement avec la grande histoire, ce que livre justement Klaus Dexel à coups d’images d’archives, de documents, de témoignages actuels. Car l’oeuvre de Wallenberg s’étend au-delà de l’hiver 1944, quand le coup d’État de nationalistes hongrois, inspirés par les SS, retarde son retour au pays. Les Croix fléchées poursuivent les rafles pour des camps de concentration. Wallenberg intervient à nouveau. Il fait acquérir plusieurs immeubles au nom de la Suède, en loue d’autres et accueille les familles menacées, bénéficiant alors d’un statut d’exterritorialité, tandis qu’Eichmann organise les «~marches de la mort~» qui mènent les Juifs hongrois en Autriche. Voilà encore Wallenberg surgissant dans la nuit, improvisant des citoyennetés suédoises pour extirper quelques personnes des convois.

Fin janvier 1945, l’Armée rouge occupe Budapest. Wallenberg est arrêté et transféré à la prison de Loubianka à Moscou. Ce fils de bonne famille (des gens richissimes qui l’ignoraient et faisaient aussi bien commerce avec le IIIe Reich qu’avec les Alliés) devient un otage. Suit une bataille d’espionnage et de contre-espionnage, qui fait fi des individus. Wallenberg n’intéresse ni la Suède ni sa famille. Trop embarrassant, il est (probablement) liquidé en 1947. Il est l’une des premières victimes de la Guerre froide. Surtout, avec ses moyens, il aura déjoué la volonté destructrice nazie. Avant d’être confronté à une autre tragédie, imprimée par Staline. Il disparaît dans les tourbillons de l’histoire sans laisser de trace. Sinon celle de l’universelle vacherie côte à côte avec la reconnaissance de l’humanité.

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