Récession et crise : la spirale

Gérard Duménil  • 14 février 2008 abonné·es

Les mauvaises nouvelles se bousculent à la porte des médias. L’économie des États-Unis est au bord de la récession ; les bourses dérapent ; et le scandale financier dévoile l’invraisemblable fragilité des contrôles. Ajoutant à la confusion, les apôtres les plus zélés du néolibéralisme revendiquent soudainement les propos blasphématoires des gauches radicales : le « capitalisme financier » est désigné à l’opprobre général.

Comment comprendre la convergence des menaces qui pèsent sur les économies états-unienne et mondiale ? Est-ce la crise des subprimes (des crédits hypothécaires douteux) qui pousse la production vers la récession ? Inversement, le ralentissement de la croissance a-t-il été un des facteurs de la crise financière ? Quelle est la hiérarchie des objectifs des politiques : maintenir la production, sauver le secteur financier ? La réponse semble aller d’elle-même. Tout tient à tout : l’un renforce l’autre et réciproquement.

Il faut, pour s’y retrouver, revenir en arrière. De quelques années seulement. Premier épisode : une étrange collaboration . Pour sortir l’économie états-unienne de la récession de 2001, la convergence de forces très différentes est réalisée : la Réserve fédérale (Banque centrale des États-Unis) et une fraction du secteur bancaire, la pire. Quand, au début des années 2000, la Réserve fédérale baisse ses taux jusqu’à des niveaux exceptionnellement faibles, ce secteur bancaire profite de l’embellie pour entraîner la dette des ménages vers de nouveaux sommets, une dette hypothécaire, mais dont le gonflement sert à bien d’autres achats que ceux du logement. Le crédit de ce secteur bancaire fonctionne alors, comme il se doit, comme une courroie de transmission des politiques de la Réserve fédérale visant à relever l’économie. Second épisode : un désengagement discret . Les crédits douteux ainsi créés sont engrangés dans des institutions particulières (de titrisation), où les banques créancières récupèrent leur argent en vendant des titres donnant droit aux « éventuels » remboursements et intérêts des crédits qu’ils ont consentis. Une manoeuvre plutôt scabreuse mais efficace du point de vue de ses promoteurs. Troisième épisode : le feu aux poudres . Des ménages de plus en plus nombreux sont incapables de payer, et l’ensemble du dispositif est ébranlé, bien au-delà de ce que les plus méfiants escomptaient. Quatrième épisode : retour à la case départ . On y lit la consigne : « Baissez les taux d’intérêt de la Réserve fédérale afin de stimuler le crédit, et avancez vers la reprise. » En dépit de quelques réticences ­ le spectre de l’inflation hante les esprits ­, le processus est engagé : les taux sont abaissés. Mais le paysage a bien changé. Fini le bel élan des vendeurs d’accès à la propriété et l’enthousiasme des acheteurs. Le secteur est dévasté. Cassée, la courroie de transmission !

Oui, la situation actuelle de l’économie des États-Unis n’est pas banale. Et c’est là que se rejoignent les crises ­ la crise financière et les récessions ­ et les déséquilibres à plus long terme de cette économie. Voilà vingt ans que la dette des ménages augmente en parallèle à la « dette » extérieure du pays (plus exactement, la croissance des placements du reste du monde dans des titres, actions, obligations, etc. états-uniens, trois quarts privés, un quart public). Beaucoup s’émeuvent : « Le reste du monde va se lasser de financer les États-Unis. » On évoque les fameux bons et obligations détenus par la Chine. Ce n’est pourtant pas là que s’accumulent les risques, mais bien sur le territoire états-unien lui-même : l’ennemi intérieur et non le péril jaune.

En simplifiant suffisamment, on peut affirmer que les uns (les ménages états-uniens) empruntent et consomment, et les autres (le reste du monde) financent. Les banques états-uniennes font fonction d’intermédiaire, et la politique de la Réserve fédérale est supposée doser le processus. Elle le fait avec l’objectif de maintenir le niveau de la production sur le territoire national, du moins ce qu’il en reste, compte tenu de la propension à importer des biens produits dans des pays à bas coûts de main-d’oeuvre.

Crise financière et récession ? Ce n’est pas l’une qui cause l’autre. Mais leur coïncidence n’est pas fortuite. Le lien se trouve dans les effets du traitement des récessions par le crédit. Chaque récession requiert une nouvelle stimulation : de nouveaux records sont battus. Aucune période de relaxation ne permet de revenir en arrière, de ramener l’endettement à des niveaux plus raisonnables permettant une nouvelle poussée en cas de besoin. On peut parler d’une spirale de l’endettement. La Réserve fédérale est bien déterminée à intervenir. Mais que faire quand le remède ajoute au mal ? La crise du crédit hypothécaire états-unien a révélé ses procédés, des plus choquants. Et tous les maux de la crise lui sont désormais attribués. Pourtant, de quoi aurait besoin aujourd’hui la Réserve fédérale pour éviter la nouvelle récession ? D’un nouveau subprime . Il va falloir trouver autre chose.

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