Insécurité sanitaire

Frappant la Nièvre, les Hautes-Pyrénées et
le Finistère, des restructurations hospitalières menacent l’accès aux soins pour tous.

Pierre Thiesset  • 5 juin 2008 abonné·es

Plusieurs centaines de citoyens, d’élus et de professionnels de la santé, une vingtaine de comités venus de toute la France, et le soutien des principales forces de gauche (partis, syndicats, associations)… Un joli bilan pour une conférence de presse. C’était le 20~mai, devant la maternité des Bluets, elle-même en lutte pour dire «non aux usines à bébés» . Répondant à l’appel de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité (CNCDHMP), les protagonistes ont soutenu l’urgence d’un moratoire sur les restructurations hospitalières.

«Nous sommes face à un tsunami sanitaire» , alerte Christian Paul, député socialiste de la Nièvre. En quinze ans, 100~000 lits et 470~établissements offrant des capacités d’accueil en hospitalisation ont été supprimés. «Des insuffisances persistent dans la prise en charge d’une partie de la population», selon l’aveu même du rapport Larcher sur les missions de l’hôpital (voir Politis n°~998). Mais celui-ci propose ni plus ni moins d’amplifier la politique à l’origine de cette faillite : «La recomposition de l’offre de soins n’a été que partielle.» Dans sa lettre de mission à Gérard Larcher, Nicolas Sarkozy affirme que les restructurations hospitalières permettront de mieux répondre aux besoins de santé, «avec un objectif de qualité et d’égal accès aux soins».

Tous égaux, vraiment ? Comme 850~maternités françaises depuis 1975, celle de Clamecy (Nièvre) a fermé ses portes le 31~mars. Et ce malgré une mobilisation exemplaire, ponctuée de manifestations et d’actions symboliques retentissantes. «Une partie de la population se retrouve à une heure et demie de la maternité la plus proche» , s’inquiète Christian Paul. L’hiver, les petites routes peu fréquentées du Morvan sont régulièrement couvertes de verglas, de neige ou de brouillard. Le 17~avril, une femme a dû accoucher aux urgences de l’hôpital clamecycois.

Idem à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), où, après la fermeture de la maternité, les urgentistes ont dû faire face à deux accouchements. Un troisième s’est déroulé dans l’ambulance. Hausse des transferts, engorgement des services centralisés… Pour des raisons évidentes de sécurité sanitaire, le tribunal administratif de Pau a autorisé le centre hospitalier de Lannemezan à rouvrir la maternité, annulant la décision de l’Agence régionale de l’hospitalisation (ARH) et du ministère de la Santé. L’exception géographique a été reconnue. Même les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) l’affirment : «Les femmes doivent pouvoir accoucher, pour des grossesses sans risque, dans un établissement accessible à moins de quarante-cinq minutes.»

Le jugement du tribunal révèle l’arbitraire des décisions gouvernementales. «La population ressent de l’incompréhension et de la colère face à ces mesures brutales qui poussent à l’hyperconcentration hospitalière, juge Christian Paul. La ministre de la Santé a évité tout contact avec nous.» Pour Michel Antony, président de la CNCDHMP, «la démocratie marche sur la tête. On décide avant d’analyser».

La vague de restructurations n’a pas attendu la remise du rapport Larcher, et encore moins le vote de la loi sur l’organisation de la santé, qui aura lieu en automne. Concarneau, Quimperlé, Brest, Valréas, Lourdes, Ancenis, Champagnole, Lézignan-Corbières, Pertuis, Belley, Granville, Ruffec… La liste des hôpitaux démantelés est longue. Dernier en date : Carhaix, qui perdra ses activités de gynécologie-obstétrique et de chirurgie le 6~juin. En guise de réponse à la résistance populaire acharnée des Bretons, Roselyne Bachelot affirme : «C’est la politique de restructuration que je mets en œuvre qui peut sauver ces petits hôpitaux. Autrement, ils seraient voués à disparaître [^2]

Au-delà de l’insécurité sanitaire, c’est à un véritable «désaménagement» du territoire que s’est attelé un gouvernement obsédé par la restriction générale des politiques publiques. «Quand on affaiblit un hôpital de proximité, on ne correspond plus aux besoins des populations concernées, et tout le monde sait très bien qu’on entraîne une désertification en chaîne sur l’ensemble du territoire», s’indigne Michel Antony. D’autant plus que la casse des services publics dans les régions rurales frappe aussi La Poste, les transports, les écoles, la justice… Le tissu social se déchire de toutes parts.

[^2]: Le Monde, 26 mai 2008.

Société
Temps de lecture : 4 minutes