« Une autre vision de la société »

Thierry Jeantet a publié un livre sur le rôle de l’économie sociale comme alternative au capitalisme*. Il rappelle ici les principes de ce secteur non-marchand et déplore son manque de réflexion sur ses objectifs.

Thierry Brun  • 18 septembre 2008 abonné·es

La crise financière actuelle a touché les banques coopératives, comme le Crédit agricole, mais aussi les Caisses d’épargne et la Banque populaire, soit un secteur important de l’économie sociale. Quelle est votre réaction ?

Thierry Jeantet : L’économie sociale, et notamment une partie du système bancaire, a voulu se conformer au modèle dominant en estimant qu’il n’y avait pas d’autres possibilités. Ce secteur dans son ensemble, et quelques banques coopé­ratives en particulier, paie son manque de réflexion sur les outils qu’elle devrait créer, non pas pour s’enfermer dans un ghetto, mais pour jouer son rôle, y compris sur les marchés financiers, dans le respect de ses principes. Il faut rappeler que, dans les années 1980, l’économie sociale avait montré la voie avec la création de l’Institut de développement de l’économie sociale et la création du titre participatif, ainsi qu’un certain nombre d’autres dispositifs créés par les mouvements de l’économie sociale.
Depuis cette période, globalement, il ne s’est pas passé grand-chose. Plus encore, il n’y a pas eu de réflexion sur ce que les grands établissements financiers de ce secteur devaient faire pour renforcer leurs fonds propres, participer à des opérations importantes et éviter de se banaliser en mettant un pied de trop dans le système boursier. Comment les banques coopératives, les mutuelles d’assurance et les mutuelles de santé, mais aussi d’autres formes d’entreprises de l’économie sociale, vont-elles se financer dans le futur ? Comment peuvent-elles construire des outils qui leur permettent de chercher des fonds propres et de rester elles-mêmes ? Il existe différents types de solutions, notamment la rénovation de la loi sur les titres participatifs ou la création de fonds de société d’investissement propres à l’économie sociale.

Mais cela pose aussi le problème de la gestion démocratique. C’est pourtant un des principes fondamentaux de l’économie sociale, avec la primauté de l’homme sur le capital…

Cela fait quelques années que de petites et grandes organisations voient leur démocratie interne reculer. Les efforts que font depuis quelques années les mutuelles d’assurance pour renforcer la participation de leur sociétariat aux élections – par exemple, les opérations de régionalisation conduites par la Macif et les opérations de mobilisations menées par la Maif – ont permis de faire remonter le taux de participation des sociétaires. Ce n’est pas le seul moyen. On voit bien que, lorsqu’elles ont des projets d’entreprise, ces mutuelles impliquent les représentants des sociétaires et des salariés. Des banques coopératives le font. Cela montre que certaines organisations ont envie de débattre de la démocratie interne en n’oubliant pas de réaffirmer le but originel de l’économie sociale comme alternative au capitalisme. À l’origine, ceux qui ont fait l’économie sociale l’imaginaient bien comme une alternative. Les principes de l’économie sociale ont une valeur ­universelle et sont porteurs de règles du jeu qui dépassent largement l’activité des coopératives, des mutuelles et des associations. Quand on dit que l’économie sociale a une vision particulière de la monnaie, cela veut dire qu’elle a une vision plus globale de la façon dont la société peu organiser les échanges. Lorsqu’elle a un pied dans le secteur marchand et l’autre dans le secteur non-marchand, cela veut bien dire aussi que les échanges entre les individus et les groupes sociaux peuvent se faire autrement que systématiquement par le secteur marchand. C’est une autre vision de la société.

Le gouvernement a annoncé récemment qu’il allait mettre à contribution assurances et mu­tuelles de santé à hauteur d’un milliard d’euros pour réduire le déficit de la Sécurité sociale. Pour lui, les mutuelles devront reverser une partie de leurs « bénéfices » à l’assurance-maladie. N’est-ce pas symptomatique d’une méconnaissance de ce qui distingue les mutuelles d’entreprises classiques ?

Il est intéressant de voir que, dans cette annonce, le gouvernement rend indirectement un hommage à la capacité de gestion des mutuelles. Le gouvernement ignore complètement que les mutuelles de santé, sans but lucratif, dégagent des excédents pour développer le système mutualiste et rendre la mutualité plus accessible, en particulier aux populations qui ont le moins de ressources. Il nie le fonctionnement original, spécifique, de la mutualité, qui joue son rôle de solidarité. Ce surimpôt annoncé récemment est clairement la marque d’une méconnaissance organisée de ce qu’est la mutualité. L’attitude du gouvernement pose le problème général de la répartition des rôles entre l’État, la mutualité et le secteur privé traditionnel. On observe un renversement de situation, l’État se désengage alors que l’économie sociale dit très clairement qu’elle refuse le recul du système de protection sociale public. On voit bien qu’il y a nécessité de redéfinir les frontières. On n’y échappera pas. À moins que la gauche revienne au pouvoir partout et se souvienne que l’économie sociale existe.

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