Succession

Au Festival de Marne, l’un des temps forts sera le passage de Seun Kuti, fils de Fela.

Denis Constant-Martin  • 9 octobre 2008 abonné·es

En musique, il est des fils qui semblent condamnés à se faire un prénom : Ravi chez les Coltrane ; Ziggy chez les Marley ; Seun chez les Kuti. Le premier a choisi de chercher à inventer une voix personnelle, dans la patience et une certaine discrétion. Les seconds, en revanche, ont préféré marcher sur les ­traces de leur père. Seun Kuti a pris la tête de l’orchestre fondé par Fela, s’affirmant ainsi comme son véritable continuateur. Fela Anikulapo Kuti, disparu en 1997, fut un créateur hors normes : musicien de talent, sachant combiner les musiques de danse nigérianes aux rythmes afro-américains ; imprécateur virulent mais autocrate, vitupérateur anticonformiste au machisme ultraconservateur, il créa un personnage qui occulta ses véritables qualités. À sa mort, ses fils, Femi et surtout Seun, se trouvèrent devant un dilemme : reproduire leur père, ce qui était impos­sible, ou faire autre chose, ce qui frisait la trahison. Seun, le cadet, a choisi un moyen terme. Il a gardé la formation de son père, Egypt’ 80, toujours dirigée par l’« ancien » Baba Ani, mais en y intégrant un nouveau bassiste : Kayode Kuti.
Seun a chanté, et joué au sax alto, le répertoire de son père, puis s’est trouvé mûr pour publier un CD de ses propres compositions. Les paroles de ses chansons dénoncent toujours les maux qui ravagent ­l’Afrique : la corruption, l’autoritarisme, la ­pauvreté, pourtant, dit-il, il voudrait faire réfléchir sa génération plus et mieux que ne l’ont fait ses parents. Le phrasé vocal de Seun est moins souple, moins « envapé » que celui de son père ; il a écouté les rappeurs, en a retenu les attaques. Quant à la musique, si le son massif de l’orchestre est toujours présent, il a acquis un tranchant, une mise en place qu’il ­n’avait pas autrefois. Au total, la musique a gagné en dynamique, mais elle a perdu ce qui faisait la qualité essentielle des prestations de Fela : le sentiment presque impalpable de l’élasticité du temps. C’est peut-être le prix à payer pour, sinon tuer le père, du moins le mettre maintenant à distance respectueuse…

Culture
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