Navigation à vue

En matière économique et sociale, l’Élysée donne l’impression de gouverner au jugé. Le Président, qui a largement sous-estimé l’ampleur de la crise, sait-il seulement où il va ?

Thierry Brun  • 5 mars 2009 abonné·es

Le sommet social du 18 février devait être l’ultime touche apportée au plan de relance, avec cette image d’une parfaite maîtrise sous les ors de l’Élysée. Il s’est transformé en cauchemar pour Nicolas Sarkozy, une déconvenue traduite dans les sondages par un record de mécontentement. Le Président patine depuis plusieurs mois sur cette question qui le met face à un dilemme : corriger un plan qui a manifestement sous-estimé la crise, ou maintenir un programme axé sur la croissance et des réformes dépassées par la déflagration sociale.

Devant l’explosion du chômage, Nicolas Sarkozy a certes occupé le terrain, mais il n’est concrètement question que de quelques retouches à la marge en matière de pouvoir d’achat, en faveur des plus pauvres. Le Président a joué de son talent d’escamoteur en sommant les partenaires sociaux de se mettre autour de la table, mais sans rien négocier. Les revendications syndicales portées dans la rue par 1,5 million de personnes le 29 janvier, et qui remobiliseront le 19 mars, sont pour l’instant passées à la trappe.

Symbole du surplace présidentiel, la rencontre du 18 février n’avait pour objet que de « renforcer une politique de protection sociale qui existe déjà » . La série d’annonces s’est résumée à un cadeau de 8 milliards d’euros au patronat avec la suppression d’une partie de la taxe professionnelle. Ces dernières semaines, le chef de l’État a même superbement ignoré le mouvement social en Guadeloupe, avant de revoir quelque peu sa copie. Quant au souhait d’une « meilleure répartition des richesses » , il n’en reste qu’un vague débat renvoyé en commission.
L’Élysée donne désormais l’impression de naviguer à vue en s’obstinant dans une logique qui laisse la loi du profit piloter la politique économique et sociale. Le président du « pouvoir d’achat » a accordé 11,5 milliards de remboursements anticipés des dettes de l’État aux entreprises, en complément des 32 milliards d’allégements de cotisations sociales déjà octroyés annuellement. 320 milliards d’euros de garanties sont lâchés pour le sauvetage des banques, auxquels il faut ajouter un plan de recapitalisation de 40 milliards d’euros et 7 milliards de prêts au secteur automobile. Dans les 26 milliards présentés récemment, seuls 5 à 7 milliards (soit 0,25 à 0,35 % du PIB) soutiendront l’activité dès 2009. On est loin des 5 % du PIB du plan de relance aux États-Unis.

« Nous n’avons pas fait d’erreurs, et les autres pays européens nous suivent » , s’entête ­l’omni­président, quand son gouvernement poursuit des contre-réformes restreignant les emplois dans des secteurs comme la recherche, l’éducation et l’ensemble des services publics. La ligne présidentielle affiche d’autres ambiguïtés : le saupoudrage social de 2,6 milliards d’euros s’accompagne du maintien des 15 milliards du « paquet fiscal » qui bénéficient principalement aux riches. Les exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires (loi Tepa) ainsi que leur défiscalisation ne sont pas mises en cause alors que la récession plombe l’emploi. Du coup, le gouvernement se prive de 4,4 milliards d’euros pour lutter notamment contre le chômage et doit revoir un budget qui prévoyait une légère croissance cette année. L’ensemble des baisses d’impôt réalisées en 2007 a limité ses marges de manœuvre et creusé les inégalités.
Les actuelles orientations affichent de plus en plus leurs contradictions. L’Élysée tiendra-t-il encore longtemps sans admettre qu’un changement de cap est nécessaire ?

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