Pourquoi il faut désobéir à l’Otan

Xavier Renou, porte-parole du collectif Les Désobéissants, décrypte le rôle néfaste de l’Alliance Atlantique, qui se réunira début avril à Strasbourg pour se doter d’une nouvelle stratégie. Ses opposants y seront également.

Xavier Renou  • 12 mars 2009 abonné·es
Pourquoi il faut désobéir à l’Otan

Les 3 et 4 avril, des milliers de pacifistes européens viendront à Strasbourg dire non à l’Otan, qui doit y fêter son soixantième anniversaire, et surtout se doter d’une stratégie nouvelle, plus agressive encore. Parmi eux, 2 000 à 3 000 ­« désobéissants », peut-être plus, tenteront d’empêcher de manière non-violente la tenue du sommet. Pour la première fois en France, 27 chefs d’État, dont Barack Obama, et plus de 20 000 policiers vont devoir faire face à une vaste action de ­désobéissance civile.

Illustration - Pourquoi il faut désobéir à l’Otan

Lors des bombardements sur Belgrade, en avril 1999. L’intervention de l’Otan se traduisit par des crimes de guerre. US AIR FORCE/AFP

Pour les pacifistes français, le moment est stratégique. Nicolas Sarkozy veut faire de l’Alliance Atlantique l’outil privilégié de la « sécurité » (entendez de la guerre pour l’accès à l’énergie) de l’Union européenne, et demande le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan. Le sommet de Strasbourg sera ainsi l’occasion d’annoncer formellement la fin d’une prise de distance de la France vis-à-vis de l’Alliance voulue par le général de Gaulle en 1966.

En fait, la réintégration de la France dans l’Otan ne fera qu’accentuer une coopération militaire qui n’a jamais cessé, comme en témoigne la contribution financière de la France au fonctionnement de l’Otan (8 % du budget de l’Alliance) ou l’organisation épisodique de manœuvres militaires conjointes au Centre d’essais et de lancement de missiles de Biscarrosse (40). Mais ce retour officiel de la France renforcera surtout l’intégration de l’Europe dans la machine de guerre atlantique.
Depuis la fin de la Guerre froide, l’Otan n’a cessé de s’affranchir de ses limites juridiques et géographiques initiales. Son intervention en ex-Yougoslavie en 1999 manifestait déjà le glissement d’une logique défensive vers une logique hégémonique au service d’intérêts tout autres. Décidée en violation du droit international, cette intervention se traduisit par de véritables crimes de guerre contre les populations civiles de Serbie, restés à ce jour impunis, et par la passivité de l’Otan face aux exactions et trafics divers perpétrés au Kosovo et à la frontière albanaise. Le soutien apporté par l’Otan aux crimes de l’armée américaine en Irak, son implication directe en Afghanistan, puis les diverses missions d’encadrement effectuées par l’Alliance Atlantique en Afrique et au Moyen-Orient témoignent de l’utilisation nouvelle de l’Otan pour le maintien de l’hégémonie occidentale sur les ressources énergétiques et minéralières de la planète. Et, chaque fois, ce sont des infrastructures européennes (bases militaires et trains belges ou turcs, ports espagnols et grecs, aéroports britanniques et italiens, usines d’armements d’Europe de l’Est…) et des soldats américains basés en Allemagne, en Crète et en Bulgarie (54 000 soldats américains d’Europe rien que pour l’Irak en 2003) qui rendent possibles ces opérations de guerre. Depuis 2003, plus d’un million de soldats américains sont passés par le seul aéroport de Shannon en Irlande, en partance pour l’Irak ou l’Afghanistan. Et, bien sûr, l’Europe a fourni à elle seule plus de 25 000 soldats à l’Otan pour combattre en Afghanistan, chiffre qu’Obama et Sarkozy voudraient augmenter encore.

Le sommet de Strasbourg doit également être l’occasion pour l’Otan d’adopter de nouvelles orientations stratégiques. On sait déjà que la mainmise sur les sources d’énergie du monde continuera de représenter un objectif prioritaire, comme la défense de l’économie de marché, quels que fussent les dégâts occasionnés par un modèle en crise. Or, la réflexion en cours à l’Otan pour atteindre ces objectifs prend un tour particulièrement inquiétant, décrit dans le rapport Vers une grande stratégie pour un monde incertain. Rédigé en janvier 2008 par cinq anciens chefs d’état-major de pays de l’Alliance atlantique (dont la France, avec l’amiral Lanxade), ce long texte défend une stratégie globale visant à organiser un « directoire » occidental sur le monde, associant les États-Unis, l’Union européenne et l’Otan. Pour ce faire, les rédacteurs estiment indispensable de conférer un nouveau rôle à l’arme nucléaire, en adoptant le principe de la frappe préventive, c’est-à-dire « en premier », avant même toute agression [[« Réflexions militaires occidentales sur l’usage préventif de l’arme nucléaire », le Monde, 23 janvier 2008.
Programme du contre-sommet du 1er au 5 avril, avec la manifestation du 4, hébergements et transports : www.dissent.fr. Entraînements à l’action non-violente : <www.desobeir.net>.]].

Précisons que cette doctrine s’inscrit parfaitement dans la logique d’un George Bush, qui menaçait l’Iran de frappes nucléaires préventives, ou d’un Jacques Chirac, nullement démenti par Nicolas Sarkozy, qui annonçait en janvier 2006 que la France s’autoriserait désormais des frappes nucléaires préventives, à titre d’ « ultime avertissement » et pour la défense de « nos approvisionnements stratégiques ».

La conception de la sécurité globale de l’Otan fusionne déjà sécurité intérieure et extérieure, ce qui implique une vision militaire de la gestion de tout type de crises. Par ces temps de crise généralisée de l’économie de marché, on peut craindre un surcroît de contrôle et de répression des contestations émergentes dans la société civile. De ce point de vue, le sommet de Strasbourg a valeur de test pour l’expérimentation de méthodes de gestion de la dissidence dérogatoires aux libertés démocratiques. Dans la capitale européenne, la liste des atteintes aux libertés édictée pour l’occasion est longue : interdiction des manifestations dans le centre-ville et restrictions fortes des droits de manifester, réquisitions de bâtiments publics pour accueillir soldats et forces de police, fermeture des écoles, désignation de zones où la circulation même des habitants est limitée et soumise à permis, extension des durées de garde à vue, fermeture des frontières aux militants et probables arrestations préventives de nombreux activistes…

Pour nous aussi, le rendez-vous de Strasbourg a valeur de test : serons-nous capables de canaliser notre colère pour réussir cette vaste opération de désobéissance civile et empêcher les « maîtres du monde » de se concerter à l’abri des opinions publiques ? Imposerons-nous le débat auquel nous avons droit sur le retour immédiat des troupes d’Afghanistan et d’Irak, le désarmement nucléaire, le démantèlement de l’Otan et la réaffectation des crédits détournés par cette machine de guerre à la lutte contre les dégâts du néolibéralisme, au Nord comme au Sud ? Réponse à Strasbourg, début avril.

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