Confidences à Allah : Rébellion féminine au Maghreb

Dans Confidences à Allah, Gérard Gélas aborde crument la question sexuelle dans le monde musulman.

Gilles Costaz  • 16 avril 2009 abonné·es
Confidences à Allah : Rébellion féminine au Maghreb
© Confidences à Allah, Petit Montparnasse, Paris, 01 43 22 83 04. À partir du 17 avril. Texte aux éditions Léo Scheer, 150 p., 15 euros.

Les femmes du monde musulman se rebellent. Du moins selon les hasards de l’actualité théâtrale. Il ne s’agit pas de parler du voile, sujet qu’on laisse à distance, comme par respect, mais simplement de crier contre l’injustice. On a vu, ces dernières semaines, au théâtre du Rond-Point, une étonnante actrice, Nouara Naghouche, conter sa vie de jeune femme dans les quartiers pauvres de Colmar. Ce monologue, Sacrifices , mis en scène par Pierre Guillois, est une mise en cause violente du pouvoir masculin. Il emprunte la drôlerie immédiate du one woman show mais cogne fort.
Cette comédienne a su sortir de la vie difficile de sa cité, être encouragée par le Centre dramatique de Colmar et le Théâtre du peuple de Bussang. Aujourd’hui, elle a une nomination aux Molières qui seront décernés le 26 avril. C’est bien l’une des rares révélations des Molières ! On suivra Nouara Nagouche dans la suite de son parcours insolent.

Confidences à Allah, que Gérard Gélas vient présenter dans le circuit privé parisien après l’avoir créé avec succès dans son théâtre du Chêne noir, à Avignon, c’est autre chose. L’on n’est plus dans le monde de l’immigration, mais au Maghreb – en Algérie sans doute, mais rien n’est précisé. Avant tout, il y a un livre, un roman de Saphia Azzeddine paru l’an dernier, dont Gélas a eu envie de faire un spectacle. Avec une rude franchise, Saphia Azzeddine aborde la question sexuelle dans le monde musulman à travers l’histoire de Jbara, bergère des montagnes qui, sans cesse victime de sévices intimes, passe de l’acte subi à l’acte tarifé. Elle quitte son village et se prostitue dans les villes. Elle gagne de plus en plus d’argent, mais dans le contexte de l’exploitation et du mépris. Les cheikhs du Golfe jettent les billets sans les compter, mais ils sont encore pires que les Français amateurs de chair exotique. Ce n’est pas peu dire ! Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’un imam, croyant Jbara vierge, la prenne parmi ses coépouses…

Pas facile de transposer ce texte au théâtre. Le langage de Saphia Azzeddine, qui s’adresse à Allah pour mieux prendre la bonne conscience religieuse à son piège, est cru, appelle un chat un chat, frappe comme un fouet. Gérard Gélas a juste resserré le récit et le lance sur scène dans son impudeur provocante. Pratiquement pas de décor, juste quelques lumières et musiques pour suggérer les climats du voyage et des lieux de plaisir. Et une extraordinaire interprète pour porter cette joie furieuse de dire ce qu’on tait, cette rage qui dénonce sans cesse dans l’espoir de s’apaiser un jour : Alice Belaïdi. Cette comédienne qu’on a vue souvent au Chêne noir d’Avignon est une flamme et une brûlure. Une autre actrice pourrait rendre choquants ou complaisants ces mots qui, si on les orchestrait avec lourdeur, pourraient résonner avec salacité ou racolage. Rien de cela ici. Certes, ce n’est pas piqué des vers, mais c’est la règle du jeu : on ne répond pas au mensonge par des dissimulations. Gérard Gélas et Alice Belaïdi réussissent leur confrontation risquée avec le monde méditerranéen et son machisme.

Culture
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