En attendant Deneuve

Avec « Ma Première Nuit en France », remarquable galerie de portraits radiophoniques,
Jozef Boro fouille la mémoire des immigrés
de façon jubilatoire.

Jean-Claude Renard  • 9 avril 2009 abonné·es

Forcément, ça doit laisser des traces dans la caboche. Le stade inaugural, la première marche. Cette première nuit passée en France pour ces millions d’étrangers, réfugiés, exilés ou étudiants, encore mômes ou déjà adultes. C’est à la fois un avant et un après, un entre-deux mondes, entre-deux vies. Un temps suspendu. Jozef Boro a choisi une poignée d’hommes et de femmes livrant au micro ce souvenir singulier.

À commencer par Abdellah, débarqué dans la capitale à 24 ans, homosexuel, réalisant alors un rêve de ­pauvre, logé chez des amis, plongé dans les tumultes de l’amour, excité et angoissé. Dans la conversation, tombe le nom de Catherine Deneuve, résidant place Saint-Sulpice, au dernier étage d’un immeuble haussmannien. Abdellah a passé la nuit, assis sur un banc, à regarder les pièces éclairées de cet appartement, espérant apercevoir la silhouette de la comédienne.

Polonais, Bereck a passé la nuit chez son frère, en 1931, rue Saint-Antoine, traversée alors par les voitures et les chevaux. Ils étaient quatre à dormir dans le même lit, tête-bêche, dans l’unique chambre du frangin. Pas besoin de chauffage alors. Florentino, lui aussi, est arrivé gamin en France, à 12 ans, en janvier 1939. L’histoire s’est chargée de plomber l’année. Sa première nuit s’est déroulée au Perthus, au milieu de Sénégalais qui, il s’en souvient soixante-dix ans plus tard, avaient partagé avec lui du bouillon chaud affreusement épicé. Pour Kitty, née à ­Tunis, l’histoire a commencé à ­Marseille, en 1962, avec ses deux mouflettes et deux valises. D’abord une vue sur Notre-Dame-de-la-Garde puis le train pour Paris. De quoi gamberger sur le passé et l’avenir dans un compartiment couchettes. De son côté, Margani a gardé de ces moments une odeur de Paris, depuis sa chambre d’hôtel. Où il dormit sur et non pas dans le lit. Américain, Michael se souvient d’une addition de bières et de whisky, d’une ébriété égarée au Select avant de libérer, au bout de la nuit, une flopée d’oiseaux exotiques dont le propriétaire de son appartement était féru.

Ce vol d’oiseaux pourrait être la métaphore de ces dix témoignages radiophoniques, brefs, incisifs (deux minutes par tête de pipe). Dans cet arc-en-ciel de souvenirs, c’est un hymne à l’immigration que célèbre ici Jozef Boro. Aux refrains jubilatoires, le sourire large, sans l’embarras des nostalgies. De quoi donner des sueurs à n’importe quel ministre de l’Immigration.

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