L’effet choux de Bruxelles

Michel Soudais  • 14 mai 2009 abonné·es

Comment expliquer l’incroyable propension de nos représentants au Parlement européen à tenir ici un discours qu’ils contredisent aussi radicalement par leurs votes dans cette assemblée ? Comment se fait-il que la quasi-totalité de nos eurodéputés – socialistes pour l’essentiel, mais les Verts ne sont pas épargnés –, élus sur la promesse de changer les politiques de l’Union européenne, rendent les armes sitôt installés dans l’hémicycle européen ?

Certes, il n’y a à cela nulle fatalité. Le groupe de la Gauche unitaire européenne, présidé ces dix dernières années par le communiste français Francis Wurtz, prouve que l’aspiration à une Europe démocratique, sociale et pacifique exprimée dans les urnes peut être portée dans le « travail parlementaire ». Que celui-ci n’est pas forcément synonyme de compromission.
Reste que l’institution produit sur la majeure partie des élus une « étonnante métamorphose ». « Ils en viennent très rapidement et très sincèrement à se considérer comme des représentants d’un intérêt supérieur “européen” transfrontières, et parfois même transpartis, qui n’a nullement fait l’objet d’un débat pendant leur campagne », notent Bernard Cassen et Louis Weber dans un petit essai instructif [^2]
.

L’explication est autant sociologique que structurelle. Car ce phénomène est assez comparable à celui qu’avaient observé nos grands-mères : tout aliment plongé dans un bocal ayant contenu des choux de Bruxelles en ressort imprégné de l’odeur et perd sa saveur. La mutation de nos élus est ainsi le produit d’un dispositif institutionnel déséquilibré où le Parlement, seule institution élue au suffrage universel, a moins de pouvoir que la Commission ou le Conseil européen.
Un système où, pour peser et s’affirmer dans ce « triangle institutionnel », les eurodéputés ne voient d’autre solution que de faire corps avec leurs collègues de bords politiques opposés. Un système où la marge d’action des élus reste strictement délimitée par les orientations politiques néolibérales gravées dans
le marbre des traités.

[^2]: Élections européennes, mode d’emploi, Éd. du Croquant, 128 p., 8 euros.

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