L’économie revisitée de fond en comble

La redéfinition de l’économie à gauche passe par un combat contre les inégalités. Une priorité et le point commun des analyses de l’ouvrage « De gauche ? ».

Thierry Brun  • 2 juillet 2009 abonné·es

Le retour aux valeurs d’égalité, les nouvelles solidarités dans un monde globalisé et la redéfinition de l’économie, « qui prenne en compte le rôle désormais central qu’y joue la connaissance » , selon les mots de Yann Moulier Boutang, sont des apports qui devraient augurer de temps plus favorables pour la gauche. Il convient de revisiter les « fondamentaux » et d’à nouveau les « labourer en profondeur » , soulignent Alain Caillé et Roger Sue, dans De gauche ? « Comment ne pas voir que la dégradation de l’ethos démocratique et le déchaînement planétaire de la corruption tiennent à l’explosion des inégalités, au sein même des sociétés américaine ou européenne, entre les salariés ordinaires et les fractions les plus aisées, celles qui ont profité des rentes engendrées par le triomphe du capitalisme financier ? » , interrogent-ils, ce qui leur fait dire que la gauche aurait dû gagner les récentes élections. La conjoncture s’y prêtait, car plombée par une croissance atone, le chômage, les inégalités, l’insécurité sociale, etc. Elle a pourtant perdu.

Elle a d’abord perdu sur le terrain des classes sociales, qui font désormais partie des « angles morts de la sociologie française » , estime l’économiste Pascal Combemale en citant un article de Stéphane Beaud. Quels groupes sociaux portent aujourd’hui une alternative, une nouvelle société et un autre imaginaire ? « Voilà une question pour la gauche. » Mais une part de la gauche a placé dans le libre-échange généralisé, la globalisation et la déréglementation financière l’espoir d’une croissance retrouvée. « En rabattant le politique sur l’économique, la gauche “moderniste” a cru faire de la globalisation économique un projet politique émancipateur pour l’humanité », relève Geneviève Azam. En outre, dans une redéfinition de l’économie, la gauche, y compris dans sa version la plus radicale, doit prendre en compte « la profondeur et l’accélération des destructions écologiques. Le sacrifice de générations entières d’exclus rend impératives la mobilisation et la mise en œuvre de véritables projets politiques articulant ensemble les questions sociales et écologiques ». C’est à partir de la prise en compte de ces réalités que peut être réactualisé le projet d’émancipation individuelle et collective.

Jean Gadrey, qui a rédigé un chapitre sur la croissance, ne dit pas autre chose : « Un tel changement de trajectoire et de vision du progrès ne peut plus reposer sur le culte de la croissance. » Il est urgent que la gauche procède à cette relativisation. Mais elle doit définir une conception nouvelle de la solidarité, liée « à la combinaison des deux formes de solidarité démocratique, celle qui est basée sur le lien social volontaire entre citoyens » , et celle qui est basée « sur la redistribution publique fondée en droit » , ajoute le sociologue Jean-Louis Laville. Certes, la crise financière a rebattu les cartes et contribué à renforcer un discours très critique à l’égard du libéralisme, porté notamment par la « gauche de gauche » et la gauche radicale. Mais l’antilibéralisme étant la chose la mieux partagée du monde, « notamment à droite, écrit Serge Audier, la mission historique de la gauche a été, et reste, de conjuguer égalité et liberté, pour promouvoir les “libertés égales” ». Combattre l’inégalité reste un axe fort et une priorité de la gauche, sans lesquels elle ne pourra retrouver de ­véritable soutien populaire.

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Etre de gauche, c'est quoi ?
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